mardi 3 juin 2014

La technique de l'échassier


Il arrive fréquemment que les archives dans lesquelles on effectue ses recherches aient des lacunes. Et bien entendu, par application du principe de la loi de Murphy, c’est précisément dans ces lacunes que se trouvent (en principe) les informations qu’on recherche …

Cette découverte est souvent la source d’une grande frustration car on se dit alors qu’on ne trouvera jamais l’information recherchée et que la branche qu’on étudiait s’arrête là. Cette frustration étant d’autant plus grande si la période lacunaire se trouve bien en-deça des limites proposées par les archives …



Pourtant il existe une méthode simple et efficace pour passer outre, pourvu que la zone lacunaire ne soit pas trop étendue, c’est la méthode que j’ai baptisée la méthode de l’échassier, en hommage aux longues pattes de cet oiseau qui peut passer au-dessus de zones troubles sans encombre et continuer sa route.

La méthode de l’échassier

Le principe est simple. Si on a une zone lacunaire dans laquelle est censée se trouver un acte de baptême  et que cette zone n’est pas trop importante, disons 4 ou 5 années, on fait l’hypothèse que la personne n’était pas fils ou fille unique et que ses frères et sœurs le/la précédant ou lui succédant sont nés dans la même paroisse.

On me rétorquera que cela fait beaucoup d’hypothèses, mais en pratique, il était rare chez nos ancêtres d’être enfant unique et les couples étaient majoritairement stables. D’ailleurs, si le couple bougeait, la méthode peut s’appliquer mais en jouant sur plusieurs paroisses avoisinantes. C’est juste que cela prend davantage de temps …

Ensuite, on recherche avant et après la période lacunaire tous les couples ayant eu des enfants et dont le père porte le même patronyme que celui du personnage recherché. L’idée est que si notre personnage est né d’un couple qui a eu d’autres enfants, on trouvera la trace de ces naissances avant et après la zone manquante.

On se retrouve donc avec une liste de couples qui peuvent potentiellement être les parents de la personne recherchée. En effet, ce qui est embêtant avec les lacunes sur les baptêmes, c’est qu’on ne connaît non seulement pas la date de naissance précise de la personne mais on ne connaît pas non plus les noms de ses parents, surtout si la période est ancienne et que ni l’acte de mariage ni l’acte de décès de la personne ne sont filiatifs.

A partir de cette liste, on va ensuite rechercher les mariages, les décès, les baptêmes des enfants des couples identifiés et tenter de trouver la mention de la personne dans un de ces documents. Par exemple, on peut trouver dans l’acte de décès d’un frère supposé la présence de notre personnage apparaissant comme témoin et cité comme frère du décédé. Ou il peut être nommé parrain ou marraine d’un enfant issu d’un membre de sa fratrie supposée et être cité comme oncle ou tante.

Bref, on a le droit d’avoir un peu de chance de temps en temps …

Une fois qu’on a éliminé les familles non éligibles, il reste généralement une ou deux familles possibles et ce n’est que la lecture de documents non disponibles en ligne (testaments, contrats de mariages, etc..) qui permettra de trancher. En tout cas on aura bien avancé.

Cas pratique

Au départ de mes recherches, j’ai un couple : Martin Didelet et son épouse Anne Chrétien.

Mon problème est que ce couple vit dans la paroisse de Béthisy-Saint-Pierre dans l’Oise et que si les archives en ligne permettent de remonter très loin dans le temps, elles présentent deux lacunes sur les périodes de 1662 à 1668 et de 1692 à 1693.

Comme indiqué plus haut, mon problème est que selon toute vraisemblance, si j’en crois son acte de sépulture, Martin Didelet est né vers 1666, c’est-à-dire en plein milieu de la zone lacunaire.

Au commencement, je ne dispose que de son acte de sépulture en date du 23 mars 1695 qui m’indique seulement qu’il était tisserand et âgé de 29 ans au moment de sa mort. Pour son épouse, ce n’est guère mieux car je ne dispose également que de son acte de sépulture en date du 2 avril 1735 qui indique qu’elle est morte subitement à l’âge de 75 ans. Chose curieuse, quoique mère de 3 enfants (le quatrième et dernier est décédé à un peu moins de 4 mois), elle ne s’est apparemment pas remariée …

Celui qui semble être le fils aîné du couple est né le 20 septembre 1688 à Béthisy-Saint-Pierre, ce qui signifie qu’ils ont dû se marier quelques temps avant mais pas trop non plus sinon ils se seraient mariés trop jeunes.

Dernier élément, le patronyme Chrétien est rare dans cette paroisse puisque sur plus d’un siècle de relevés, il n’y a que mon Anne Chrétien qui y est décédée … Elle doit donc  arriver d’une paroisse voisine, ce qui m’emplit d’espoir pour l’acte de mariage.

Un mariage qui donne quelques éléments

En cherchant un peu aux alentours de Béthisy-Saint-Pierre, c’est-à-dire à Béthisy-Saint-Martin sa jumelle, j’ai trouvé l’acte de mariage du couple Martin Didelet et Anne Chrétien en date du 17 novembre 1687.

Problème, le curé n’a pas cru bon d’indiquer le nom des mères des mariés, se contentant de noter le nom de leur père ! Mais bon, c’est un bon début car je sais maintenant que le père de Martin Didelet se nomme Denis Didelet est qu’il était décédé au moment du mariage de son fils.

Autre élément important, l’acte de mariage précise que Martin Didelet est âgé de 26 ans ou environ … Du coup, cela le ferait naître vers 1661 et non plus 1666. Mais à Béthisy-Saint-Pierre, je n’ai aucun Martin Didelet né en 1661.

L’échassier entre en scène

Le relevé des registres de la paroisse de Béthisy-Saint-Pierre me donne trois couples susceptibles d’être les parents de Martin Didelet :

  • Denis Didelet et Barbe Fagnet
  • Denis Didelet et Hélène Chavigny
  • Denis Didelet et Madeleine Bataille


Sur mes relevés, Denis Didelet et Barbe Fagnet ont 4 enfants, nés respectivement en 1617, 1619, 1624 et 1626. Ils ne peuvent donc pas être les parents de Martin Didelet car il y a un trop grand écart entre le dernier né relevé et la date de naissance présumée de Martin Didelet.

Le couple Denis Didelet et Hélène Chavigny a un fils identifié né en 1647. Ils peuvent donc être les parents de Martin Didelet en supposant que celui-ci soit le benjamin de la fratrie. Seul problème, Hélène Chavigny est décédée en 1652, soit près de 9 ans (minimum) avant la naissance de Martin Didelet

Enfin, le dernier couple Denis Didelet et Madeleine Bataille a 2 enfants sur mes relevés qui sont nés respectivement en 1660 et 1661. Par ailleurs Madeleine Bataille est décédée le 8 février 1685 à Béthisy-Saint-Martin. Sur son acte de sépulture il est indiqué qu’elle est veuve de Denis Didelet et l’acte est signé par un Martin Didelet.

Ce couple peut donc être parfaitement éligible.

Cette hypothèse est renforcée par le fait que dans l’acte de mariage de Martin Didelet avec Anne Chrétien, il est dit que son père est décédé et qu’il est assisté de ses oncles. Or, dans les signataires de l’acte de mariage, on trouve un « D Bataille », soit le même patronyme que celui de la mère supposée dudit Martin Didelet. Qui plus est, sur les deux actes, les signatures se ressemblent fortement.

Nota : après enquête,  D Bataille est en fait Denis Bataille qui aura deux épouses et décèdera le 22 mars 1695 à Béthisy-Saint-Martin à l’âge de 58 ans, ce qui le fait naître vers 1637. Sachant que Madeleine Bataille, la femme de Denis Didelet est née vers 1635, il se peut fortement que Denis Bataille soit le frère de Madeleine Bataille, ce qui expliquerait sa présence à son enterrement et au mariage de Martin Didelet avec Anne Chrétien car il s’agirait alors de son neveu … De plus sur différents actes citant Denis Bataille, la signature qu’il emploie est la même que celle présente sur l’acte de mariage de Martin Didelet avec Anne Chrétien.

En conclusion ?

Pour le moment, je n’ai pas de preuve directe et irréfutable, mais il semble très probable que Martin Didelet soit le fils de Denis Didelet et de Madeleine Bataille. Ce couple aurait vécu à Béthisy-Saint-Pierre où ses enfants seraient nés, mais suite au décès du père, la famille serait allée (retournée) à Béthisy-Saint-Martin où Martin Didelet aurait rencontré sa future femme.

Problème : les registres de Béthisy-Saint-Martin s’arrêtent en 1664. Impossible donc de trouver la trace d’un quelconque mariage entre Denis Didelet et Madeleine Bataille. En tout cas, il n’y a pas eu d’union entre Denis Didelet et Madeleine Bataille à Béthisy-Saint-Pierre et Denis Didelet étant décédé après la naissance de son fils supposé Martin et avant 1685, soit il est décédé pendant la période lacunaire des registres de Béthisy-Saint-Pierre, soit il est mort ailleurs que dans cette paroisse, mais c’est une autre histoire …


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Pour aller plus loin :

           

4 commentaires:

  1. J'utilise cette technique que j'avais baptisée "tâtonnement généalogique". Mais la "recherche généalogique de l'échassier", ça me plaît assez: c'est beaucoup plus imagé.
    Roland Bouat

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    1. Surtout que l'échassier plonge son bec dans les eaux parfois troubles et ressort avec ce qu'il recherchait ... Une ressemblance de plus avec les généalogistes ;-)

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  2. J'aime beaucoup le nom que tu as donné à cette méthode ;) Elle est certes longue et fastidieuse mais quand on a pas le choix.... il faut s'y coller ! En tout cas, bravo pour l'avoir si bien décrite car elle sera sûrement utile pour beaucoup de chercheurs d'ancêtres !

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    1. Merci pour tes encouragements.
      Il est vrai que derrière le nom assez sympathique se cache une méthode très laborieuse qui demande de la persévérance, un peu de chance et pas mal d'intuition. Mais ce sont là des caractéristiques de tout bon généalogiste qui se respecte ;-)

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