Il arrive fréquemment que les archives dans lesquelles on effectue ses recherches aient des lacunes. Et bien entendu, par application du principe de la loi de Murphy, c’est précisément dans ces lacunes que se trouvent (en principe) les informations qu’on recherche …
Cette découverte est souvent la source d’une grande
frustration car on se dit alors qu’on ne trouvera jamais l’information
recherchée et que la branche qu’on étudiait s’arrête là. Cette frustration
étant d’autant plus grande si la période lacunaire se trouve bien en-deça des
limites proposées par les archives …
Pourtant il existe une méthode simple et efficace pour
passer outre, pourvu que la zone lacunaire ne soit pas trop étendue, c’est la
méthode que j’ai baptisée la méthode de l’échassier, en hommage aux longues
pattes de cet oiseau qui peut passer au-dessus de zones troubles sans encombre
et continuer sa route.
La méthode de l’échassier
Le principe est simple. Si on a une zone lacunaire dans
laquelle est censée se trouver un acte de baptême et que cette zone n’est pas trop importante,
disons 4 ou 5 années, on fait l’hypothèse que la personne n’était pas fils ou
fille unique et que ses frères et sœurs le/la précédant ou lui succédant sont
nés dans la même paroisse.
On me rétorquera que cela fait beaucoup d’hypothèses, mais
en pratique, il était rare chez nos ancêtres d’être enfant unique et les
couples étaient majoritairement stables. D’ailleurs, si le couple bougeait, la
méthode peut s’appliquer mais en jouant sur plusieurs paroisses avoisinantes. C’est
juste que cela prend davantage de temps …
Ensuite, on recherche avant et après la période lacunaire
tous les couples ayant eu des enfants et dont le père porte le même patronyme
que celui du personnage recherché. L’idée est que si notre personnage est né d’un
couple qui a eu d’autres enfants, on trouvera la trace de ces naissances avant
et après la zone manquante.
On se retrouve donc avec une liste de couples qui peuvent
potentiellement être les parents de la personne recherchée. En effet, ce qui
est embêtant avec les lacunes sur les baptêmes, c’est qu’on ne connaît non
seulement pas la date de naissance précise de la personne mais on ne connaît
pas non plus les noms de ses parents, surtout si la période est ancienne et que
ni l’acte de mariage ni l’acte de décès de la personne ne sont filiatifs.
A partir de cette liste, on va ensuite rechercher les
mariages, les décès, les baptêmes des enfants des couples identifiés et tenter
de trouver la mention de la personne dans un de ces documents. Par exemple, on
peut trouver dans l’acte de décès d’un frère supposé la présence de notre
personnage apparaissant comme témoin et cité comme frère du décédé. Ou il peut
être nommé parrain ou marraine d’un enfant issu d’un membre de sa fratrie
supposée et être cité comme oncle ou tante.
Bref, on a le droit d’avoir un peu de chance de temps en
temps …
Une fois qu’on a éliminé les familles non éligibles, il
reste généralement une ou deux familles possibles et ce n’est que la lecture de
documents non disponibles en ligne (testaments, contrats de mariages, etc..)
qui permettra de trancher. En tout cas on aura bien avancé.
Cas pratique
Au départ de mes recherches, j’ai un couple : Martin
Didelet et son épouse Anne Chrétien.
Mon problème est que ce couple vit dans la paroisse de
Béthisy-Saint-Pierre dans l’Oise et que si les archives en ligne permettent de
remonter très loin dans le temps, elles présentent deux lacunes sur les
périodes de 1662 à 1668 et de 1692 à 1693.
Comme indiqué plus haut, mon problème est que selon toute
vraisemblance, si j’en crois son acte de sépulture, Martin Didelet est né vers
1666, c’est-à-dire en plein milieu de la zone lacunaire.
Au commencement, je ne dispose que de son acte de sépulture
en date du 23 mars 1695 qui m’indique seulement qu’il était tisserand et âgé de
29 ans au moment de sa mort. Pour son épouse, ce n’est guère mieux car je ne
dispose également que de son acte de sépulture en date du 2 avril 1735 qui
indique qu’elle est morte subitement à l’âge de 75 ans. Chose curieuse, quoique
mère de 3 enfants (le quatrième et dernier est décédé à un peu moins de 4
mois), elle ne s’est apparemment pas remariée …
Celui qui semble être le fils aîné du couple est né le 20
septembre 1688 à Béthisy-Saint-Pierre, ce qui signifie qu’ils ont dû se marier
quelques temps avant mais pas trop non plus sinon ils se seraient mariés trop
jeunes.
Dernier élément, le patronyme Chrétien est rare dans cette
paroisse puisque sur plus d’un siècle de relevés, il n’y a que mon Anne
Chrétien qui y est décédée … Elle doit donc arriver d’une paroisse voisine, ce qui m’emplit
d’espoir pour l’acte de mariage.
Un mariage qui donne quelques éléments
En cherchant un peu aux alentours de Béthisy-Saint-Pierre, c’est-à-dire
à Béthisy-Saint-Martin sa jumelle, j’ai trouvé l’acte de mariage du couple
Martin Didelet et Anne Chrétien en date du 17 novembre 1687.
Problème, le curé n’a pas cru bon d’indiquer le nom des
mères des mariés, se contentant de noter le nom de leur père ! Mais bon, c’est
un bon début car je sais maintenant que le père de Martin Didelet se nomme
Denis Didelet est qu’il était décédé au moment du mariage de son fils.
Autre élément important, l’acte de mariage précise que Martin
Didelet est âgé de 26 ans ou environ … Du coup, cela le ferait naître vers 1661
et non plus 1666. Mais à Béthisy-Saint-Pierre, je n’ai aucun Martin Didelet né
en 1661.
L’échassier entre en scène
Le relevé des registres de la paroisse de Béthisy-Saint-Pierre
me donne trois couples susceptibles d’être les parents de Martin Didelet :
- Denis Didelet et Barbe Fagnet
- Denis Didelet et Hélène Chavigny
- Denis Didelet et Madeleine Bataille
Sur mes relevés, Denis Didelet et Barbe Fagnet ont 4
enfants, nés respectivement en 1617, 1619, 1624 et 1626. Ils ne peuvent donc
pas être les parents de Martin Didelet car il y a un trop grand écart entre le
dernier né relevé et la date de naissance présumée de Martin Didelet.
Le couple Denis Didelet et Hélène Chavigny a un fils
identifié né en 1647. Ils peuvent donc être les parents de Martin Didelet en
supposant que celui-ci soit le benjamin de la fratrie. Seul problème, Hélène
Chavigny est décédée en 1652, soit près de 9 ans (minimum) avant la naissance
de Martin Didelet …
Enfin, le dernier couple Denis Didelet et Madeleine Bataille
a 2 enfants sur mes relevés qui sont nés respectivement en 1660 et 1661. Par
ailleurs Madeleine Bataille est décédée le 8 février 1685 à Béthisy-Saint-Martin.
Sur son acte de sépulture il est indiqué qu’elle est veuve de Denis Didelet et
l’acte est signé par un Martin Didelet.
Ce couple peut donc être parfaitement éligible.
Cette hypothèse est renforcée par le fait que dans l’acte de
mariage de Martin Didelet avec Anne Chrétien, il est dit que son père est
décédé et qu’il est assisté de ses oncles. Or, dans les signataires de l’acte
de mariage, on trouve un « D Bataille », soit le même patronyme que
celui de la mère supposée dudit Martin Didelet. Qui plus est, sur les deux
actes, les signatures se ressemblent fortement.
Nota : après enquête, D Bataille est en fait Denis Bataille qui aura
deux épouses et décèdera le 22 mars 1695 à Béthisy-Saint-Martin à l’âge de 58
ans, ce qui le fait naître vers 1637. Sachant que Madeleine Bataille, la femme
de Denis Didelet est née vers 1635, il se peut fortement que Denis Bataille
soit le frère de Madeleine Bataille, ce qui expliquerait sa présence à son
enterrement et au mariage de Martin Didelet avec Anne Chrétien car il s’agirait
alors de son neveu … De plus sur différents actes citant Denis Bataille, la
signature qu’il emploie est la même que celle présente sur l’acte de mariage de
Martin Didelet avec Anne Chrétien.
En conclusion ?
Pour le moment, je n’ai pas de preuve directe et
irréfutable, mais il semble très probable que Martin Didelet soit le fils de
Denis Didelet et de Madeleine Bataille. Ce couple aurait vécu à Béthisy-Saint-Pierre
où ses enfants seraient nés, mais suite au décès du père, la famille serait
allée (retournée) à Béthisy-Saint-Martin où Martin Didelet aurait rencontré sa
future femme.
Problème : les registres de Béthisy-Saint-Martin s’arrêtent
en 1664. Impossible donc de trouver la trace d’un quelconque mariage entre
Denis Didelet et Madeleine Bataille. En tout cas, il n’y a pas eu d’union entre
Denis Didelet et Madeleine Bataille à Béthisy-Saint-Pierre et Denis Didelet
étant décédé après la naissance de son fils supposé Martin et avant 1685, soit
il est décédé pendant la période lacunaire des registres de Béthisy-Saint-Pierre,
soit il est mort ailleurs que dans cette paroisse, mais c’est une autre
histoire …
Si cet article vous a plu ou vous a semblé utile, n’hésitez pas
à le partager !
Pour aller plus loin :
J'utilise cette technique que j'avais baptisée "tâtonnement généalogique". Mais la "recherche généalogique de l'échassier", ça me plaît assez: c'est beaucoup plus imagé.
RépondreSupprimerRoland Bouat
Surtout que l'échassier plonge son bec dans les eaux parfois troubles et ressort avec ce qu'il recherchait ... Une ressemblance de plus avec les généalogistes ;-)
SupprimerJ'aime beaucoup le nom que tu as donné à cette méthode ;) Elle est certes longue et fastidieuse mais quand on a pas le choix.... il faut s'y coller ! En tout cas, bravo pour l'avoir si bien décrite car elle sera sûrement utile pour beaucoup de chercheurs d'ancêtres !
RépondreSupprimerMerci pour tes encouragements.
SupprimerIl est vrai que derrière le nom assez sympathique se cache une méthode très laborieuse qui demande de la persévérance, un peu de chance et pas mal d'intuition. Mais ce sont là des caractéristiques de tout bon généalogiste qui se respecte ;-)