mardi 17 décembre 2013

Drame de l’an III à Russy


Nous sommes le 12 juillet 1795 à Russy, petite commune de l’Oise située à l’Est de Crépy-en-Valois, sur la route de Villers-Cotterêts. Dans 2 jours, le 26 messidor, le député Debry fera adopter le « chant de guerre pour l’armée du Rhin » comme hymne national. Mais pour l’heure,  nous sommes loin des remous de la vie parisienne, en pleine campagne picarde.

Il fait très chaud cet après-midi et le citoyen Antoine Moquet, un cultivateur aisé passe ses consignes à son domestique Martin Ydelot. Ce rude gaillard de 42 ans est employé dans la ferme du citoyen Moquet comme domestique depuis plus de 20 ans et c’est d’ailleurs là qu’il a rencontré Jeanne Rémy qui est devenue sa femme il y a également une vingtaine d'années.

Pour eux, la Révolution Française n’a rien changé. Même la proximité de Paris n’a pas eu d’effet marquant sur leur vie de tous les jours. Certes, on ne parle plus de maître, car tout le monde est devenu citoyen, mais dans les faits il y a ceux qui possèdent la terre et ceux qui la travaillent !



Mais revenons à cette journée du 24 messidor. Les moissons sont terminées pour la plupart et la chaleur accablante a fatigué les hommes qui y ont participé. Martin a toujours eu la réputation d’un homme solide et malgré sa petite taille (il ne mesure en effet que 1m66), il est dur à la tâche et ne rechigne jamais devant l’effort. C’est un homme apprécié de tous et qui bien que non natif de Russy, a su y trouver sa place.

A la fin de l’après-midi vers les 6 heures et demie, il fait donc le point avec son maître Antoine Moquet pour les travaux à venir et peu de temps après, il va rejoindre son logement pour se désaltérer et se changer.

Quelques instants après il ressort vêtu d’un pantalon de toile blanche et d’une veste rouge tirant sur le brun. Il a rapidement peigné ses cheveux châtains et vérifie qu’il a bien l’argent prévu pour aller fêter avec ses camarades la fin des moissons des prés du citoyen Moquet.
Il est temps de partir, mais sa femme le retient un instant pour lui demander de lui ramener un peu d’eau pour qu’elle puisse préparer le repas du soir. Bien que bougonnant car le travail intense sous ce soleil de plomb lui a fait mal à la tête et parce qu’il préfèrerait s’en aller directement au cabaret du bourg plutôt que de ressortir, il accepte de faire les quelques allers et retours entre sa masure et le puits. Car, comme le dit le dicton : ce que femme veut …

Le voilà donc en route vers le puits situé dans la cour de la ferme.

Il s’approche, jette le seau qui rebondit quelques secondes plus tard sur la surface de l’eau. Mais sans doute son geste a-t-il été maladroit, car le seau ne se retourne pas et flotte paisiblement sur la surface plane. Agacé, il se penche en avant et entreprend de remuer la corde pour faire basculer le seau. A ce moment, sa femme l’appelle car elle se demande pourquoi il passe tant de temps. Il se retourne brusquement pour lui répondre et sa tête heurte violemment la manivelle de la poulie.
Etourdi par le choc, le corps en déséquilibre car il était penché au-dessus du puits, il bascule en un instant et après une chute que 3 ou 4 secondes, sa tête heurte violemment le rebord du seau et lui fait une plaie profonde sur le crâne allant de l’oreille jusqu’au sommet du crâne.
Il ne faut ensuite que quelques secondes de plus pour que son corps évanoui termine sa course au fond du puits et heurte le sol en pierre.
Le corps recroquevillé et désormais sans vie de Martin baigne dans 60 à 70 centimètres d’eau et malgré les secours qui arrivent immédiatement il est trop tard. Sa femme Jeanne est sans voix et a quand même le réflexe de masquer les yeux de leur plus jeune fille qui est sorti en entendant les cris de sa mère.

Le cadavre est transporté dans la bergerie attenante au corps de ferme et aussitôt les autorités sont prévenues.

Il n’y a aucun doute sur le caractère accidentel du décès et c’est d’ailleurs ce que va constater le juge de paix accompagné du maréchal de Russy, le citoyen Legoux et du citoyen Crété. D’ailleurs ce dernier est assez choqué de voir le corps sans vie de son camarade avec lequel il discutait encore la veille …
Comme il se doit, le juge fait appel à deux chirurgiens de Crépy pour déterminer les causes de la mort et ces deux hommes de l’art confirment que c’est bien le choc de la tête avec le rebord du seau qui a causé la mort.

Nicolas Martin, le fils de notre Martin, qui est désormais le chef de famille vient constater que le cadavre exposé est bien celui de son père et demande alors à récupérer son corps pour pouvoir procéder à son enterrement.
L’enquête est rapidement close et les 41 livres en différents assignats qui se trouvaient dans le portefeuille du décédé sont remis à la désormais veuve Ydelot, la citoyenne Jeanne Rémy.

En fin de journée, exactement 24 heures après ce drame, le maire de la commune prend sa plume et consigne l’acte de décès du citoyen Ydelot, décédé de mort violente. Ce sera le troisième acte de l’année car il faut dire la commune n’abrite qu’une demi-douzaine de familles. Tout le monde se connaît et tout le monde a été marqué par la mort de Martin.

Des années après, les mères interdiront à leurs enfants de s’approcher du puits de la ferme du Moquet car le souvenir de cet accident est resté très vif dans cette population rurale. Puis le temps a fait son travail et cette histoire a disparu des mémoires. Seules quelques lignes posées sur un registre permettent aujourd’hui de connaître le destin tragique du citoyen Ydelot, mort un soir de juillet 95 …


Les faits sur lesquels j’ai basé ce récit sont parfaitement réels et vérifiables sur les archives en ligne du département de l’Oise, à la commune de Russy-Bémont, côte microfilm 5MI2306R1, actes de 1780 à l’an V, vues 48 et 49.
Pour les besoins de la cause et afin de donner un peu de corps à ce fait divers, j’ai imaginé quelques éléments qui, sans être vérifiables, restent vraisemblables …


Si cette histoire vous a plu, n’hésitez pas à la partager !



Pour aller plus loin : 


           

2 commentaires:

  1. Bravo pour ce récit ! J'aime beaucoup cette façon de redonner vie à des évènements si lointains.
    Elise

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    1. Merci beaucoup.
      Je dois dire que si l'exercice est assez chronophage car il nécessite quelques recherches, il est passionnant !

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