Pas plus tard que le week-end dernier, alors que j’étais en
train de dépouiller consciencieusement les registres paroissiaux de
Béthisy-Saint-Pierre, sport auquel je m’adonne depuis plusieurs semaines, j’ai
trouvé un acte très particulier qui a éclairé tout d’un coup un pan de mon
histoire familiale. Eclairage sur un moment de l’histoire de deux de mes
ancêtres qui ont vécu directement un des événements les plus marquants du règne
de Louis XIV …
En fait tout a commencé par une recherche d’ascendants
classique.
Le 26 septembre 1741, Claude DIDELET épouse Madeleine THOMAS.
Claude DIDELET est né le 16 novembre 1716 du mariage de Martin DIDELET et d’Elisabeth
BOURGEOIS, tandis que la future, Madeleine THOMAS est née le 6 avril 1715 du
mariage de Louis THOMAS et d’Anne VAUSQUIN.
Tous ces gens sont natifs de la paroisse de Béthisy-Saint-Pierre
et Claude DIDELET et Madeleine THOMAS sont les ancêtres de ma grand-mère
paternelle et les sosas 626 et 627 de mes enfants.
Avançant davantage sur la branche DIDELET, j’ai rapidement
trouvé le mariage de Martin DIDELET avec Elisabeth BOURGEOIS qui a eu lieu le
18 octobre 1707, également à Béthisy-Saint-Pierre. Leur acte de mariage ne
laissait rien présager de particulier puisque
Martin DIDELET était dit être le
fils de feu Martin DIDELET, manouvrier de son vivant et d’Anne CHRETIEN (dont
la forme du nom varie entre CRESTIEN, CHRESTIEN ou CHRESTIENNE).
Elisabeth
BOURGEOIS elle, était la fille de feu Louis BOURGEOIS, manouvrier de son vivant
et de Marie de SAINT-JUST (variant en SAINT-JUST ou de ST JU).
Rien de spécial donc.
Seulement, lisant un très bon document écrit par Francis Lavoisier
et intitulé « les chanvriers filassiers de Béthisy », je découvrais à
la fin la liste des patronymes les plus courants de Béthisy-Saint-Pierre et de
Béthisy-Saint-Martin où je retrouvais mes DIDELET et BOURGEOIS. Une mention
attira cependant mon regard qui indiquait que les BOURGEOIS étaient de Béthisy
depuis au moins 1597 et qu’ils étaient d’origine protestante …
Seulement, aucune mention de l’acte de mariage Martin
DIDELET / Elisabeth BOURGEOIS ne semblait indiquer une appartenance à la
Religion Prétendue Réformée.
Mes recherches continuant, je suis alors tombé sur l’acte de
décès de Marie de SAINT-JUST, la mère d’Elisabeth BOURGEOIS :
Le mardi vingt-troisième mai audit an (1690) est décédée en la communion de notre mère Sainte Eglise, Marie de St Just, femme de Louis Bourgeois, nouveaux convertis, âgée de trente cinq ans ou environ, laquelle fut inhumée le même jour au cimetière de St Pierre de Béthisy sa paroisse, assistée de ses proches.
Et quelques années plus tard, en 1697 :
Le samedi sixième jour de juillet audit an (1697) est décédé en la communion de notre mère Ste Eglise Louis Bourgeois, nouveau converti, âgé de cinquante sept ans ou environ, lequel fut inhumé dans le cimetière de Béthisy sa paroisse, assisté de ses proches qui ont déclaré ne savoir signer.
Ainsi , les deux parents d’Elisabeth BOURGEOIS, Louis
BOURGEOIS et Marie de SAINT-JUST étaient-ils qualifiés lors de leur sépulture
de « nouveau converti ». Cela signifierait-il qu’ils seraient effectivement
protestants ? Et de quand daterait leur conversion ?
Quelques recherches sur internet m’ont permis de trouver un
document publié par les archives départementales de l’Oise intitulé « Lesregistres protestants des pays de l’Oise sous l’Ancien Régime (1572-1792) ».
Cet ouvrage collectif écrit par Christian GUT et Roger KRESMANN est en fait le
relevé de tous les registres protestants de l’Oise : on imagine sans peine
la joie que j’ai éprouvée en trouvant ce document.
Joie qui allait être comblée par la découverte (confirmée
par la suite par la lecture des registres protestants de la ville de Compiègne)
de l’acte de baptême de deux enfants jumeaux, Etienne et Marie Madeleine
BOURGEOIS, en date du 10 octobre 1683 :
Aujourd'hui dixième jour d'octobre mil six cent quatre vingt et trois ont été baptisés en notre Temple à Bienville Etienne et Marie Madeleine Bourgeois, tous deux enfants jumeaux de Louis Bourgeois, chanvrier et de Marie de St Just, leurs père et mère demeurant à Béthisy.Etienne de St Just, demeurant à Berneuil et Marthe Lorin, fille du Sr Mathieu Lorin demeurant à St Martin ont été parrain et marraine dudit Etienne Bourgeois.Jean Bourgeois, chanvrier demeurant audit Béthisy et Jacqueline Temps, femme de Pierre Bourgeois demeurant aussi audit lieu ont été parrain et marraine de ladite Marie Madeleine.Tous les susnommés ont signé le présent acte, excepté ladite Jacqueline Temps qui a déclaré ne savoir signer et ils ont dit que ces enfants sont nés le huitième du présent mois et an.
Je détenais enfin la preuve qui me manquait : Louis
BOURGEOIS et Marie de SAINT-JUST étaient bien des protestants mais s’étaient
convertis au catholicisme avant 1690, date du décès de Marie.
Il ne manquait alors qu’une pièce au puzzle pour qu’il soit
complet, et c’est lors du dépouillement de mes registres paroissiaux que je l’ai
trouvée. Le lecteur généalogiste sait exactement ce qu’on éprouve lorsqu’on
découvre un document qui est important pour son histoire familiale, je n’ai
donc pas besoin d’entrer davantage dans les détails pour décrire mon sentiment
de bonheur …
Ce document est en fait un ensemble de trois actes qui se
suivent, datant respectivement du 13 décembre 1685, du 17 décembre 1685 et du
19 décembre 1685. Il s’agit d’attestations d’abjurations collectives de pas
moins de 24 protestants !
Parmi eux, on retrouve bien entendu Louis BOURGEOIS et son
épouse Marie de SAINT-JUST. Curieusement, Louis a abjuré le 13 décembre et
Marie le 17 décembre. Pourquoi un tel délai ? Mystère. Peut-être était-ce dû à des raisons pratiques d’organisation personnelle ?
Pour donner une idée du style, voici l’acte concernant Marie
de SAINT-JUST :
Nous soussigné prêtre curé de la paroisse de St Pierre de Béthisy, diocèse de Soissons, certifions à tous qu'il appartiendra que :- Pierre de Presles, âgé de 11 ans- Marthe de Presles, âgée de 13 ans, natifs de Meaux- Marie de St Just, femme de Louis Bourgeois, âgée de 34 ans, native de St Queux, diocèse de Beauvais- Pierre Bourgeois, âgé de 11 ans- Jacques Bourgeois, âgé de 13 ans- Marthe Bourgeois, âgée de 12 ans- Etienne Bourgeois, âgé de 12 ans- et Josias Jacques, âgé de dix huit à vingt ans,tous natifs dudit Béthisy ont fait entre nos mains abjuration de l'hérésie en laquelle ils ont été élevés et que je leur ai donné l'absolution dans l'église dudit lieu le lundi dix septième jour de décembre mil six cent quatre vingt cinq, en foi de quoi j'ai signé la présente attestation le jour et an que dessus, et ont déclaré ne savoir signer
Je ne peux pas m’empêcher de faire deux remarques :
Quid des enfants en bas âge ? Par exemple, en décembre
1685, Elisabeth BOURGEOIS, la future épouse de Martin DIDELET à environ 2 ou 3
ans. Or elle ne figure pas dans les actes d’abjuration. L’Eglise devait sans
doute considérer que les enfants consentaient du moment que leur parents se
convertissaient. Peut-être étaient-ils re-baptisés, le baptême protestant n’équivalant
au baptême catholique que de nos jours …
Quid des mariages ? Dans la mesure où pour les protestants
le mariage n’est pas un sacrement, les catholiques pouvaient légitiment considérer
que ces couples étaient illégitimes. La conversion entraînait-elle de facto la
régularisation du mariage ?
Cette parenthèse fermée, revenons à notre couple.
Louis BOURGEOIS et Marie de SAINT-JUST sont tous les deux
protestants. Louis est originaire de Béthisy-Saint-Pierre, tandis que Marie
vient de Cinqueux, petite paroisse à quelques kilomètres au Nord-Est de
Nogent-sur-Oise (et non pas Saint Queux comme l’a transcrit le prêtre …). Dans
les deux cas on a affaire à des familles huguenotes depuis longtemps.
C’est donc tout naturellement qu’ils se rendent au Temple de
Compiègne pour y faire baptiser leurs enfants, cette ville étant une des places
où le culte protestant est autorisé depuis la promulgation de l’Edit de Nantes
en 1598.
Seulement le 18 octobre 1685, le roi Louis XIV révoque cet
édit depuis Fontainebleau, qui donne donc à ce nouvel édit royal, le nom d’Edit
de Fontainebleau. Entre autres conséquences il est stipulé que désormais la
seule religion possible de France sera le catholicisme. Concrètement, pour les
protestants se sera la conversion ou l’exil.
Car, à supposer que des protestants refusent l’exil et la
conversion, la vie deviendra très difficile pour eux dans la mesure où leurs
lieux de culte et leurs écoles seront fermés et que certains métiers leur
seront interdits.
Cela explique donc pourquoi on retrouve un groupe de 24 huguenots
de la région abjurant leur foi protestante en décembre 1685, soit deux mois après
la proclamation de l’édit dans tout le Royaume.
Ainsi, la petite histoire de mes ancêtres s’est-elle heurtée
violemment à la grande histoire !
J’ignorais totalement avoir des origines protestantes dans
cette branche et pour la petite histoire, ma grand-mère paternelle, issue de ce
couple de convertis, quoique bonne catholique s’est convertie au protestantisme dans les années
30 pour pouvoir épouser mon grand-père paternel qui était pasteur de l’Eglise
Réformée …
Désormais, lorsque je lirai des ouvrages, des articles ou
des documents relatifs à cet édit de Fontainebleau ou que je verrai des reportages
sur ce thème, je repenserai à Louis BOURGEOIS et Marie de SAINT-JUST qui furent
contraints d’abjurer la foi de leurs aïeux un jour de décembre 1685 …
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