mardi 25 novembre 2014

Solidarité pastorale

Mes recherches m’ont entraîné depuis quelques temps dans le Languedoc, aux confins du Rouergue, dans un groupe de paroisses autour d’Ornaisons et de Lézignan. De ces paroisses sont en effet issus une bonne partie des ancêtres de mon épouse du côté de sa grand-mère paternelle.

Ces recherches sont passionnantes pour moi car non seulement c’est une région que je n’avais encore jamais explorée généalogiquement parlant, mais encore j’ai découvert des ramifications de cette branche à Marseille et vers Rodez, ce qui démontre, une fois de plus, que certains de nos ancêtres pouvaient être amenés à se déplacer sur de longues distances.

Lors de l’épluchage des registres paroissiaux de Ribaute, petite paroisse située à une douzaine de kilomètres au sud-ouest de Lézignan, je suis tombé sur un document assez étonnant. Il s’agit d’un courrier adressé par monsieur Bréjal, curé de Fabrezan à son collègue le curé de Ribaute.

Ribaute - Camplong - Fabrezan (source Google Maps)


En voici la teneur.



"A Fabrezan ce 20° Xbre 1763

Monsieur,

Paul Labadié, jardinier de Camplong vint me trouver hier dix-neuf du courant pour me prier de lui baptiser un enfant disant que la rivière ne pouvait pas se passer.
Je fus voir la rivière et je vis effectivement qu’il y avait du danger et étant surtout embarrassé d’un enfant. En conséquence je lui dis que j’étais votre bon ami et que tout ce que je pouvais faire pour vous rendre service je le faisais de nuit et de jour et qu’il n’avait qu’à m’apporter l’enfant et que je le baptiserais et que j’espérais bien que vous ne désapprouveriez pas ma conduite faisant pour vous ce que je voudrais qu’on fît pour moi.
En effet on m’a apporté ce matin l’enfant en question et je l’ai baptisé, vous pouvez être tranquille là-dessus et quand il y aura occasion de vous être utile vous pouvez croire que je serai toujours prêt à le faire.
Il m’a même dit qu’il avait deux enfants dans la maison malades d’une maladie qui se communique et dont plusieurs en meurent.
A la vérité, j’avais samedi dernier donné un certificat à ceux qui devaient être parrain et marraine comme ils avaient satisfait à leur devoir pascal, mais ils sont revenus disant qu’ils n’avaient osé passer l’eau de sorte que ledit Paul Labadié a été obligé d’en nommer de nouveaux, ceux qu’il avait choisis ne se trouvant pas quand il est arrivé dans la paroisse.
J’ai l’honneur d’être avec un parfait attachement
Monsieur
Votre très humble et très obéissant serviteur
Lebrejal, curé"



Ce courrier, outre son caractère anecdotique nous apprend plusieurs choses intéressantes.

Premièrement, il existait une solidarité entre prêtres, même si on peut imaginer une certaine rivalité du fait des revenus générés par leur cure. En l’espèce, la paroisse de Fabrezan est beaucoup plus importante que celle de Ribaute ce qui signifie donc qu’a priori le curé de Fabrezan était plus riche que son collègue de Ribaute. Pourtant, il lui a « pris » un baptême ce qui pourrait être à l’origine d’un manque à gagner pour ce dernier. Certains diront que je fais du mauvais esprit, mais la nature humaine étant ce qu’elle est, on peut tout imaginer …

Ensuite, si on regarde l’histoire racontée dans ce courrier et qu’on observe la géographie, on comprend ce qui s’est passé. Nous sommes en décembre, l’Orbieu, la rivière qui serpente dans la vallée et qui traverse Ribaute, Camplong et Fabrezan est fortement alimentée par les dizaines de rivières qui coulent depuis les monts environnant. On imagine donc qu’en hiver, l’Orbieu devait être en crue et Ribaute se situant rive droite, tandis que Camplong et Fabrezan se trouvaient rive gauche, Ribaute devait être coupée du monde pendant plusieurs semaines par an.

Si on s’intéresse à la famille de Paul Labadié sur la paroisse de Ribaute, on trouve que celui-ci, avant la naissance de son petit enfant, a déjà eu au trois enfants de son union avec Elisabeth Espardeille :
  • Catherine, née le 14 avril 1759
  • Marie Thérèse, née le 6 janvier 1761
  • Jeanne Anne, née le 25 juillet 1762

Effectivement, Paul Labadié est bien jardinier, mais tous ces baptêmes précédents ont eu lieu à Ribaute, ce qui signifie que soit il a déménagé dans la commune de Camplong entre 1762 et 1763, soit qu’il s’y trouvait au moment de la naissance de son nouvel enfant. A ce stade, l’énigme reste entière, même si quelques éléments décrits plus loin nous apportent quelques éclaircissements.

Ce document décrit également une tranche de vie de nos ancêtres : les conditions de vie dépendant de la nature, la précarité de la vie avec les deux enfants malades, les conditions à réunir pour être parrain ou marraine avec le poids de la religion dans la vie de tous les jours.

Pour finir sur la famille Labadié/Espardeille, on peut dire que le destin s’est acharné sur elle dans la mesure où sur la paroisse de Ribaute, on relève les décès suivants :
  • Marie, décédée le 26 janvier 1759 à l’âge de 14 mois
  • Paul, décédé le 19 septembre 1759 à l’âge de 4 ans
  • Raymond, décédé le 2 août 1760 à l’âge de 7 ans
  • Marie Thérèse, décédée le 9 octobre 1762 à l’âge de 21 mois
  • Jeanne Anne Rosalie, décédée le 9 août 1763 à l’âge de 2 ans

Il est par ailleurs indiqué que Paul et Raymond sont nés à Fabrezan où leur père était jardinier et sur l’acte de décès de Marie, on apprend que Paul Labadié, originaire de Fabrezan est à Ribaute depuis 4 mois.  Quant à l’acte de décès de Jeanne Anne Rosalie, il nous apprend que les parents sont de Camplong.

Ces informations nous permettent de déterminer le trajet de Paul Labadié et de son épouse puisqu’ils étaient d’abord à Fabrezan jusqu’au printemps 1759, date à laquelle ils ont migré à Ribaute, où sont nées leurs trois filles Catherine, Marie Thérèse et Jeanne Anne Rosalie. Mais ils ne sont restés dans cette paroisse que jusqu’en 1763 puisque Jeanne Anne Rosalie  est décédée à Camplong et que l’enfant dont le courrier cité plus haut est le sujet y est né.

Reste à savoir pourquoi le curé de Fabrezan a averti son collègue de Ribaute de ce baptême puisque d’après ce qu’on comprend, les parents n’y habitaient plus …

Pour finir sur une note plus positive, je n’ai pas retrouvé d’actes de décès de Catherine Labadié ni d’un autre enfant de la famille dans les années qui ont suivi 1763. Cela signifie soit que la famille a encore déménagé, soit que ces enfants ont survécu.


Quoiqu’il en soit, cela montre qu’un document a priori anodin peut se révéler riche d’informations car il apporte un éclairage précis sur la vie de nos paroisses. On peut donc compléter une généalogie avec ces éléments et même trouver des indices pour découvrir où un de nos ancêtres habitait et le suivre « à la trace ».

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mardi 18 novembre 2014

Principe de causalité et généalogie


Il y a bien longtemps, lorsque j’étais étudiant, je me suis découvert deux passions, presque en même temps : celle de la physique quantique et celle de la généalogie. Evidemment, il est compliqué de lier les deux car les domaines d’application de ces deux activités sont nettement distincts.

C’est pourquoi, les années passant, j’ai développé mes compétences en généalogie et ai pu avancer assez significativement sur l’histoire de ma famille et sur celle de mon épouse. Parallèlement, j’ai tenté de mieux appréhender les principes de la physique quantique, ce qui n’est pas une sinécure, même si aujourd’hui j’ai quelques connaissances en ce domaine.

Alors, quel est le lien avec le titre de ce billet ?

Max Planck 1858-1947 - un des pères de la physique quantique


Il y a quelques semaines, je regardais une conférence donnée par l’excellent Etienne Klein, qui abordait un de ses sujets favoris, le temps. Pour faire simple, il expliquait qu’il y a deux façons de concevoir le temps : soit de manière cyclique, soit de manière linéaire. Or les principes fondamentaux de la physique démontrent que le temps ne peut qu’être linéaire, ce qu’on peut traduire par le fait qu’il existe un principe de causalité : toute chose a pour origine une cause qui l’a précédée.

Appliqué à la généalogie, cela signifie que si nous sommes là c’est parce que nous avons des parents et ainsi de suite, à chaque génération. Bien sûr, les choses se compliquent dans le cas des mariages entre cousins puisque nous pouvons avoir des ancêtres en double. De même, dans le cas où les êtres humains sont créés à partir de cellules fécondées in vitro, ces cellules ne provenant pas nécessairement des parents dits d’adoption, la notion même de filiation perd son sens traditionnel.

Pourtant, même dans le cas d’une adoption, d’une fécondation in vitro, chaque être humain a une origine, un événement qui est la cause de son existence. Le principe de causalité s’applique donc bien, précisément parce que le temps est linéaire. Dit autrement, nous ne pouvons pas être les parents de nos parents …

La physique quantique va encore plus loin, faisant monter le principe de causalité d’un cran dans l’abstrait. L’exemple est donné par une tasse de café qu’on casse un jour. On peut effacer toutes les traces de ces dégâts, nettoyer le café qui est tombé, ramasser les éclats de porcelaine, les recoller parfaitement pour faire en sorte que personne ne puisse savoir que la tasse a été cassé, voire même mentir en disant que la tasse ne s’est jamais cassée. Pourtant, ce que dit la physique quantique c’est que, quoiqu’il arrive dans le futur, quoiqu’on observe dans le futur, l’événement qui est survenu a existé. En d’autres termes, une fois qu’un événement a existé, il est impossible de revenir en arrière et de faire en sorte qu’il n’existe pas.

Je sens bien que la majorité des lecteurs de ce billet a jeté l’éponge car elle se demande où je veux en venir …

Pourtant le lien avec la recherche généalogique est évident : ce principe montre que même si toutes les traces ont disparu, même si des témoignages altèrent la réalité, même si la mémoire des faits peut nous tromper, l’existence de nos ancêtres est un fait qui ne peut être remis en cause.

Mieux encore, nous pouvons affirmer que nous avons des ancêtres qui ont existé et qui ont donné naissance à une descendance dont nous sommes issus.

Alors, pourquoi faire un détour par la physique quantique pour en arriver à cette conclusion somme toute triviale ? Tout simplement pour rendre espoir à celles et ceux qui, à un moment de leur recherche, sont face à un mur. Ainsi, si je n’arrive pas à trouver la trace d’un de mes ancêtres car il semble être apparu spontanément à une époque, ce que me démontre ce principe de causalité c’est qu’il est certain qu’il a existé un jour et que tous les événements qui ont marqué sa vie ont existé.

Cette façon de penser peut redonner espoir à ceux, dont je fais partie, qui ont dans leur généalogie, un ancêtre né d’un père inconnu. Ce n’est pas parce que ce père est inconnu qu’il n’existe pas. Il suffirait, dans l’absolu, de recenser tous les hommes en âge de procréer, vivant dans l’environnement de la jeune fille séduite pour y retrouver le père recherché. Puis, grâce à certains indices, on pourrait ne garder dans la liste que quelques candidats possibles. On pourrait même, par des recherches génétiques sur leurs descendants, identifier ce père.
Il est stupide de faire des recherches aussi poussées pour compléter une branche de son arbre, mais ce que nous montre ce qui a été dit plus haut, c’est que ce père existe, même si nous ne l’avons pas (encore) identifié …

Par rapport à d’autres domaines de la recherche, c’est une chance considérable de savoir que cet ancêtre a existé (les chercheurs savent bien que parfois ils cherchent des années des choses qui, au final, n’existent pas …).

Partant de ce principe, il faut alors s’armer de courage et reprendre un à un tous les indices en se disant, une fois encore, que si ceux-ci existent, ce n’est pas par hasard et qu’ils sont la conséquence d’événements antérieurs qui ont conduit à leur existence. Il faut donc continuer à chercher et ne jamais abandonner !


Le principe de causalité appliqué à la généalogie permet d’affirmer que les ancêtres dont nous ne trouvons pas la trace ont pourtant bel et bien existé. Tout le travail du généalogiste est donc de rechercher patiemment les faits qui permettent de retrouver leur trace. Cette démarche historique, au sens d’Hérodote (« historiè » signifie « enquête » en grec) est sans doute la plus passionnante des aventures !


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mardi 11 novembre 2014

Les légendes sont parfois vraies …


Il y a quelques temps de cela, je montrais que dans la plupart des cas, les légendes familiales étaient non fondées et que certains faits historiques, déformés par les années finissaient par transformer un modeste artisan en un compagnon d’un Roi ou d’une Reine …

Pourtant, parfois, les faits donnent raison aux rumeurs et on ressent alors une joie intense : celle de disposer des documents qui attestent de la véracité de la légende familiale. C’est d’ailleurs, je pense, le véritable bonheur, plus que celui de trouver un ancêtre « prestigieux » ou à la vie incroyable.

Dans le cas qui m’intéresse, il s’agit de la branche maternelle de mes enfants. Dans cette branche, il y a en gros des ancêtres dans quatre régions de France : le Limousin, le Poitou-Charente, l’Aquitaine et le Languedoc-Roussillon.

Marseille - Notre-Dame des Accoules


Il y avait déjà pas mal d’années que je voulais combler les lacunes de la branche du Languedoc-Roussillon mais les archives départementales de l’Aude n’étaient pas en ligne jusqu’à un passé récent et lorsque je suis allé visiter leur site, j’ai constaté qu’elles débutaient tard, c’est-à-dire avant 1870 … Or, je n’avais pas de document reliant la grand-mère paternelle de mon épouse à cette époque.

Un premier coup de pouce du destin m’a fait retrouver il y a peu les livrets de famille de cette grand-mère et de ses parents et grands-parents. J’ai donc pu trouver les noms, prénoms et dates de naissance, mariage et décès de ses grands-parents, ce qui, pour un généalogiste, est un bon début.

Cette famille est issue de la commune d’Ornaisons, dans l’Aude, en plein dans les Corbières (les amateurs de vin apprécieront). Mais très rapidement, je me suis retrouvé dans la commune voisine de Luc-sur-Orbieu où Pierre Martial Dulsou, maréchal de forge, a épousé en 1857 Honorine Lucie Marie Bouzinac.

Si le mariage a eu lieu dans cette commune de Luc-sur-Orbieu c’est parce que l’épouse en était originaire. Elle y est en effet née le 12 décembre 1836, de l’union de Joseph Bouzinac avec Marianne Pech. La famille était assez aisée semble-t-il car Joseph Bouzinac était propriétaire.  Ce dernier avait épousé Marianne Pech le 25 septembre 1835, toujours à Luc-sur-Orbieu.

Joseph Bouzinac, né le 12 mars 1812, était le fils de François Bouzinac et de Rose Bertrand. François Bouzinac était un modeste agriculteur. Jusque là donc, pas de quoi s’affoler car cette généalogie s’annonçait classique et très « linéaire ». La méthode la plus simple consistant à remonter dans le temps et à chercher l’acte de mariage de ses parents.

Après un peu de temps passé sur les registres de la commune, j’ai trouvé que François Bouzinac avait épousé Rose Bertrand le 19 brumaire de l’an V, c’est-à-dire le 9 novembre 1796. Dans son acte de mariage, on aprend que François Bouzinac est sans parents, ceux-ci étant décédés. Son père se nommait François Bouzinac et sa mère Marie Thérèse Estieu. Imaginant que ceux-ci sont décédés sur la commune, j’ai donc remonté le temps en scrutant attentivement les différents actes, car comme souvent, l’officier d’état-civil de cette période révolutionnaire n’était pas vraiment un artiste …

Effectivement les deux parents de François Bouzinac, époux de Rose Bertrand, étaient décédés respectivement le 8 vendémiaire an V, dans la commune voisine de Ferrals, pour son père, tandis que sa mère était décédée à Luc-sur-Orbieu le 31 juillet 1792. Rien dans ces actes ne donnant d’éléments particuliers, si ce n’est l’âge du père (46 ans) et celui de la mère (34 ans).

Ayant une estimation de leur date de naissance et connaissant la date estimée de naissance de leur fils François, je me suis donc mis à rechercher leur acte de mariage. Après quelques heures, j’ai trouvé ce qui s’apparente au Graal de tout généalogiste, à savoir leur acte de mariage, en date du 24 novembre 1773, dont voici la transcription :


« L’an mil sept cent soixante treize et le vingt quatrième jour du mois de novembre, après la publication de trois bans ou annonces faites au prône de notre messe de paroisse pendant trois dimanches consécutifs dont le dernier a été le sept de ce mois vingt troisième dimanche après pentecôte, nous avons conjoint en légitime mariage

le Sr François Bouzinac de la Bastide, huissier, fils de feu Sr J… D… Bouzinac de la Bastide, Vice-chancelier du Consulat d’Espagne et de Naples et de Dlle Marie ? Peirot, mariés, de la ville de Marseille, d’une part, habitant depuis environ quatre ans dans cette paroisse, âgé d’environ vingt huit ans

Et dlle Marie Thérèse Estieu, fille de feu François Estieu, ménager et de Marie Gouset, mariés, de cette paroisse, âgée d’environ dix sept ans, d’autre part,

Du consentement de la mère de l’époux, comme il conste par sa procuration en faveur de maître Théodore Jean Maragon, avocat au parlement retenue par le Sr …, notaire royal de Toulouse, en date du troisième du même mois, contrôlé le même jour par défaut dûment légalisé par messire de Lartigue, juge mage en la Sénéchaussée de Toulouse et du consentement du Sr Jean Pierre Faby, maître en chirurgie au lieu de Lézignan, curateur de ladite demoiselle Marie Thérèse Estieu, comme il conste par le contrat de mariage retenu le jour d’hier par le St Cassan, notaire du lieu de Lézignan

Sans qu’il soit venu en notre connaissance aucun empêchement canonique ni civil et toutes les formalités en tel cas requises dûment observées, nous avons célébré la Sainte Messe et leur avons départi la bénédiction nuptiale.

Présents les Sr Maître Jean Théodore Maragon, avocat en parlement, procureur fondé de la mère de l’époux, Jean Pierre Faly, curateur de ladite épouse, Joseph Farale Philibert Maragon, Bruno Maragon, François Aspergès, ménager, Jacques Guillaumon, signés avec nous vicaire, le procureur fondé de l’époux,le curateur de l’épouse, l’époux et non l’épouse pour ne savoir de ce requise. »


Pour le lecteur, cet acte ne signifie rien de particulier, si ce n’est le fait que François Bouzinac, époux de Rose Bertrand est le fils de François Bouzinac de la Bastide, huissier et fils de J. D.,  Vice-Chancelier du Consul d’Espagne et de Naples et de Marie Peirot.

En réalité, cela démontrait qu’une légende familiale, colportée par la grand-mère paternelle de mon épouse disait vraie lorsqu’elle disait descendre de « Bouzinat de la Bastide ». Je me souviens que je prenais ces assertions à la rigolade, certain qu’une fois de plus, le temps avait déformé les faits … Or je me trouvais là face à cette preuve irréfutable !

Mais, trouvant ces preuves, une autre légende se rappelait à ma mémoire, celle d’ancêtres Espagnols dont ma femme ne cessait de me parler. Or pour le moment, la seule information donc je disposais était l’origine Marseillaise de cette famille, ce qui était déjà surprenant en soi !

Poussé par la curiosité, j’ai donc continué à remonter dans le temps à la recherche d’informations sur J.D Bouzinac de la Bastide et Marie Peirot. Le problème avec Marseille est que la ville est immense, même sous Louis XV, et qu’elle compte un nombre incalculable de paroisses ! C’est là où Généanet m’a aidé car un seul arbre a été fait sur cette famille et faisait état d’un mariage en 1746.

Jai donc épluché tous les registres des paroisses marseillaises pour l’année 1746 jusqu’à trouver ce que je recherchais, dans la paroisse de Notre-Dame des Accoules, le 11 avril 1746 :


« Du onzième avril
Après une publication dans notre paroisse sans empêchement, avec dispense de deux autres contrôlé le second du courant, avec la dispense du temps prohibé, les mortuaires des père et mère de l’époux, icelui du père de l’épouse, les certificats de catholicité, état libre de tout lien et engagement des parties et leur domicile en cette ville, le tout même attesté par les témoins sous-nommés,
Nous avons marié par parole de présent
Sr Joseph Dominique Bouzinac dit de la Bastide, âgé de vingt sept ans, Secrétaire du Sr Consul d’Espagne et des Deux-Siciles, résidant rue du Coin de Reboul dans notre paroisse, fils de feu Jacques, vivant Bourgeois et de feue Ursule Catherine Dachoritegai, de Madrid, résidant dans notre paroisse à la rue du Coin du Reboul depuis sept ans d’une part
Et Dlle Suzane Peirot, âgée de seize ans, fille de feu Pierre, vivant maître boulanger et de Honnorade Bergier, de cette ville, résidant à la susdite rue du Coin de Reboul, dans notre dite paroisse d’autre part
Le tout en présence du Sr Louis Bremond, maître maçon, risidant à la Porte d’Aix, curatur nommé à la minorité de l’épouse par Mr le Lieutenant en ce siège le six du courant, contrôlé ledit jour, de la mère de l’épouse et les témoins requis, savoir Jean Baptiste Beillon, maître tailleur, résidant au Coin de Reboul, Antoine Roche, Bourgeois rue des Calus, Jean Baptiste Camoin, boulanger, rue d’Aubagne et Adrien Roman, cordonnier, rue de Nègre, tous signés, excepté la mère de l’épouse qui a dit ne savoir écrire, de ce enquise par nous vic. soussigné. »


Cet acte est fondamental à mes yeux car il donne trois informations très importantes :
-          Joseph Dominique Bouzinac dit de la Bastide n’était pas un aristocrate, mais un bourgeois dont le nom était en train de se contruire (le « dit de la Bastide » se transformant à la génération suivante en « de la Bastide »)
-          La famille était en train de gravir les échelons de la hiérarchie sociale et la Révolution Française a tout stoppé !
-          La mère de Joseph Dominique, une certaine Ursule Catherine Dachoritegai est dite « de Madrid », serait-ce la preuve de son origine espagnole ?

On remarque que si, effectivement, la mère de Joseph Dominique était Espagnole, celui-ci a pu être « embauché » par le Consul d’Espagne et des Deux-Siciles à cause de ses origines et de maîtrise supposée de l’espagnol ?

En tout cas, ces quelques jours de recherche ont ouvert des horizons immenses sur cette branche car, partant d’un « simple » propriétaire terrien d’un petit bourg de l’Aude, je suis arrivé à une famille bourgeoise en pleine ascension sociale sous le règne de Louis XV, qui avait probablement des origines partiellement espagnoles et qui était établie à Marseille, évoluant dans le milieu de la diplomatie !

Les deux légendes familiales parlant d’ancêtres « nommés » de la Bastide et ayant des origines Espagnoles sont donc avérées !

Mon seul regret est que la grand-mère de mon épouse ne soit plus de ce monde, je suis certain qu’elle aurait été ravie de toutes ces découvertes, même si la réaction de mon épouse, lorsque je lui ai montré mes trouvailles a été simple et lapidaire : « Je savais bien que c’était vrai … »


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mardi 4 novembre 2014

Nouvelles du front


Il y a des vacances plus enrichissantes que d’autres et il y a des vacances qui réservent des surprises inattendues. Dans les deux cas, on ne regrette pas d’avoir dû quitter le confort de son bureau pour aller passer quelques temps en d’autres lieux où les conditions pour la recherche généalogique sont moins bonnes.

Dans le cas présent, les dernières vacances ont été extrêmement profitables puisque j’ai eu l’occasion de découvrir une mallette dans laquelle étaient stockées depuis près d’un siècle, les courriers qu’un des arrières-grands-pères de mon épouse a envoyé à sa femme, depuis sa mobilisation jusqu’à quelques semaines de sa mort le 29 octobre 1915.

François Dalbert Chauvit 1886-1915


J’ai déjà longuement parlé de cet homme, François Dalbert Chauvit, fauché à 29 ans par cette guerre terrible. Il se trouve qu’il est resté dans la mémoire familiale comme une sorte de héros car son décès est la conséquence d’une blessure qu’il aurait reçue en protégeant les hommes dont il avait la responsabilité. Ce dernier point est incertain dans la mesure où je ne dispose d’aucun document sur les circonstances exactes dans lesquelles il a été blessé.
En revanche, en fouillant les archives familiales, je découvre un homme de son époque, avec ses convictions et son caractère, et tout cela est d’une richesse infinie.

D’ailleurs, j’envisage, aux prochaines vacances, de scanner méthodiquement tous les courriers mentionnés plus haut, pour les classer chronologiquement et les transcrire afin de proposer aux descendants de François Dalbert Chauvit une sorte de témoignage de la guerre vu depuis un caporal de l’Armée Française …

Pour donner un aperçu de la teneur de ses courriers, en voici deux qui se suivent dans le temps puisqu’ils sont datés respectivement  du 13 et du 15 février 1915. Pour situer ces courriers dans leur contexte, François Dalbert vient de vivre deux événements importants :

  • Le décès de son père qui est survenu le 20 janvier
  • La naissance de sa fille Alice qui est survenue le 28 janvier


Les transcriptions sont faites en respectant l’orthographe et la syntaxe des courriers originaux …



« Le Tremblay 13/2 1915
Ma chère Hélénie,
Je viens à l’instant de recevoir par l’intermédiaire de Roger ta lettre du 6. Je suis bien heureux que tu aime bien notre pauvre petite mais aussi je l’aime déjà autant que mon petit Georges et il me tarde bien de la voir, apprends-le lui aussi à bien aimer sa petite « nixe » (Note : elle se nomme Alice et j’imagine que son frère âgé de 2 ans et demi la nomme ainsi).
Bien qu’elle n’ai pas été (désirée) pour nous ils seront toujours égaux, ce n’ai point sa faute pauvre petite si elle ne nous était pas indispensable. Elle n’a point demandé à venir, et, si elle ne nous était pas indispensable pour vivre elle ne nous empêchera pas non plus ! Le plus ennuyeux c’est de l’élever, c’est sa peine et sa santé qui s’altèrent à ton profit ! Tu fais bien de ne pas la faire baptiser avant mon retour, car Louis et Rosa sont tous désignés pour la tenir, eux s’intéressent à nous et ça leur revient de droit.
Quand bien même il faudrait attendre longtemps, attend, elle n’en voudra pas et ne te laisse pas intimider par de faux préjugés ! J’espère qu’avec les bons soins de ta mère tu n’as pas fait d’imprudence et que tu ai a peu près remise c’est-à-dire en aussi bonne santé que possible. Fais tout ton possible pour te bien soigner que ce soit ta plus grande occupation tout le reste doit passer après. Aussitôt que tu seras capable de supporter l’air de dehors ainsi que la petite chérie faite vous photographier. SI cette demoiselle ne pouvait pas chez moi, pouvaient en trouver à Montmoreau.
Je m’étais fait photographier ici mais ça n’avait pas resté assez longtemps dans le bain, c’était moche pour que je te l’envoie. J’écris à Gayou et je luis dis de monter te payer, faites lui donner tout ce que vous pouvez, regardez sur le livre rien que l’an dernier ça doit se monter à 182 F 50.
Il fait un temps de chien et je suis heureux d’être là près du feu avec mes gros sabots et ma couchette de paille.
Hier il avait neigé et aujourd’hui il pleut à torrent.
Je t’embrasse de tout mon cœur ainsi que mes deux petits et tes parents.

Chauvit »

 Et la seconde :


« 15 février 1915

Ma très chère Hélénie,
Je suis toujours au Tremblay et bien heureux, je n’y resterai jamais assez nous voudrions bien tous y finir la guerre ! Nous trouvons tous en avoir fait notre part mais mois je n’exagère pas en le disant. J’ai pour amis 2 braves garçons, l’un prpr (Note : lire « propriétaire ») vers La Rochefoucauld est venu à nos foires, l’autre boulanger est de vers Tarbes, nous faisons la partie ensemble dans un petit bourg qui est situé à un km environ d’ici derrière un grand bois.
Nous faisons une bourre, prenons quelques consommations, juste pour passer le temps et calmer la soif ! Je ne fais point d’excès, j’économise tant que je peux mais quand nous en avons l’occasion nous oblige de nous distraire pour oublier le mauvais temps et les périls.
Hier soir nous y avons retrouvé trois jeunes messieurs qui parlaient Allemand et bien avec la patronne, nous y revenons ce soir pour qu’elle nous renseigne sur ce qu’ils sont ! J’étais excité et les surveillais le moindre geste la moindre parole contre nous c’en était fait de leur vie ! Mais comme ils ne disaient rien nous ne pouvions les attaquer sans savoir ce qu’ils étaient.
Les gens sont assez gentils envers nous, mais il y a tellement d’espions parmi nous que nous n’avons confiance en aucun des habitants.
Des bruits ont couru que notre Division allait être relevée et renvoyée ou en Alsace ou a Paris, est-ce vrai je l’ignore encore ? Il est certain qu’il y a un grand mouvement de troupes et que quelque chose se prépare.
Je reçois bien tes lettres mais je n’ai point reçu celle de Mme Moineau. Tant qu’aux colis, je ne pourrais pas les recevoir car j’ai dit à Roger de les garder.
Il faudra aussitôt qu’il ne fera plus de froid que je t’expédie les effets que j’ai en trop.
Si je vois Antoine je lui donnerai le colis, tu ne peux te faire idée de ce que je suis content de le voir ! Depuis si longtemps si exposé et ne voir personne de ma famille, ici à 600 km ça me rapporte là-bas vers vous tous. Que ton père ne se casse pas la tête pour le travail et surtout ne se fatigue pas et risque de prendre du mal c’est assez bien que tu sois malade toi. Et pendant qu’il n’y seront pas fais bien attention à toi et à notre petite Alice.
Je t’embrasse de tout mon cœur ainsi que mes deux pauvres petits et ton père et ta mère.
Ton mari qui pense à toi bien souvent

Chauvit »


Ces deux exemples illustrent trois choses intéressantes.

Premièrement, le temps est long sur le front et l’ennui est redoutable. Cela laisse d’ailleurs le temps à François Dalbert pour gérer sa maison à distance. L’exemple du baptême à décaler est un exemple édifiant !

Ensuite, il pense beaucoup à sa femme, espère qu’elle va bien, lui demande de se maintenir en bonne santé. Est-ce pas amour pour elle ? est-ce parce qu’il craint que ses enfants en pâtissent ? Difficile de savoir mais je pencherais quand même pour de l’amour mêlé de tendresse. Il faut dire que marié en 1911, il n’a pas pu profiter de sa vie en couple très longtemps …

Enfin, ce rapport aux Allemands est assez fort. J’ai du mal à croire que des soldats Allemands puissent prendre un verre dans un café situé manifestement à l’intérieur des lignes françaises … Peut-être s’agit-il d’Alsaciens ? En tout cas la réaction de cet ancêtre, pourtant bien éduqué peut surprendre …

Dans tous les cas, plonger dans cette correspondance vieille d’un siècle est une chance car cela permet de découvrir vraiment la personnalité d’un ancêtre, même s’il n’est pas très ancien. C’est une chose rare en généalogie de pouvoir disposer d’un tel corpus. Et je compte bien en profiter !


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