Il existe parfois de curés très bavards qui n’hésitent pas à ponctuer leurs registres d’anecdotes relatives à la vie de leur paroisse. Ces petites histoires, soit traitées à part, soit intégrées dans les actes sont une source d’informations pour le généalogiste car on y trouve de quoi pimenter ses récits familiaux.
Mais ce sont aussi des instantanés de la vie de nos ancêtres
qui nous montrent qu’en fait ils n’étaient pas si différents de nous.
Au gré de mes recherches dans la Sarthe, je suis tombé sur
les registres de la paroisse de René, petite bourgade située à mi-chemin entre
le Mans et Alençon. Au tout début du XVIIIème siècle la paroisse avait pour curé
un certain Négrier. Ce curé donnait de temps en temps des informations
étonnantes et grâce au blog Vie d’Autrefois, j’ai pu découvrir, puis vérifier
(on ne se refait pas …) quelques anecdotes qui ont émaillées la vie de cette
paroisse paisible. En voici un florilège :
Note en fin de registre de l’année 1701
BMS René 1700-1722 – Cote 1MI 983 R1 – Vue 23
Le 2 février fête de la Purification de la Sainte Vierge en l’an 1701, il fit un si grand orage de vents le matin environ huit heures jusqu’après midi, que les vents emportèrent par leurs violences un nombre infini d’arbres hors de leurs places, en déracinant un plus grand nombre et renversèrent plusieurs bâtiments et firent un désordre très grand
Acte de sépulture de Pierre Goupil, le 20 juillet 1707
BMS René 1700-1722 – Cote 1MI 983 R1 – Vue 93
Aujourd’hui vingtième jour de juillet 1707 a été inhumé dans le cimetière de cette église par nous curé soussigné le corps de Pierre Goupil, lequel décéda le mardi, jour précédent, par l’extrême chaleur qu’il souffrit étant à couper du blé dans la plaine et tomba mort sans avoir senti auparavant aucune atteinte de maladie, et ce jour-là, la chaleur fut si grande qu’il mourut plusieurs personnes en différents endroits et qu’un très grand nombre se trouvèrent si mal qu’ils furent obligés d’abandonner leur travail.
Note en fin de registre de l’année 1711
BMS René 1700-1722 – Cote 1MI 983 R1 – Vue 159
Relation du débordement des eaux dans ce canton dans l’année 1711Au mois de février 1711, les neiges étant hautes d’environ un pied sur la boue, il survint un dégel qui les fit fondre tout à coup, ce qui fit croître les eaux le 17 février, jour du Mardi Gras si hautes que de mémoire d’homme on ne les avait point vu pareilles.Les grandes rivières firent des désordres infinis, entraînant presque tous les moulins et brisèrent tout ce qui se trouva dans leur passage et dans leurs débordements firent des ravages dont on n’avait point encore vu d’exemple.Dans ce pays ici, l’étang de Griefaussé creva la chaussée entre le moulin et la grange du Meunier qu’il entraîna pleine de blés. La brèche était large et profonde et quand les eaux furent entièrement retirées on remarqua qu’il y a avait dans l’étang deux mines de tourbe qui est une boue grasse fait commerce en Hollande, dont les pauvres gens font du feu. J’en apportai pour faire l’expérience et quoi qu’elle ne fût pas encore sèche, je remarquai qu’elle ne laissait pas de brûler, de se couvrir de cendres et de conserver quelques temps le feu, et même d’avoir bonne odeur.Quand l’été fut venu et que les grosses mottes que le courant de l’eau avait arrachées et entraînées bien loin au-dessous du moulin furent sèches par l’ardeur du soleil, le meunier s’avisa d’en prendre pour brûler, et l’ayant interrogé là-dessus, il me répondit qu’elle brûlait bien et faisait de bon feu, qu’il s’en était toujours servi depuis, et s’en trouvait bien.Il est très certain que les marais des mers et de Bray en sont tous pleins et si les pauvres gens avaient l’industrie de s’en servir, elle leur serait d’un grand secours dans ce pays est si rare et si cher.Dans le bourg de René, la Petite Rivière d’Ortois se déborda aussi de manière qu’elle alla flotter jusqu’aux murailles du cimetière, où elle monta de la hauteur d’un pied.Relation du tremblement de terre arrivé le 6 octobre 1711Le mardi sixième octobre mil sept cent onze sur les huit heures du soir, le temps étant assez clame, l’on sentit tout d’un coup un tremblement de terre qui dura environ trois minutes avec un fort grand bruit dans l’air, ce qui étant fini la boue recommença un demi quart d’heure après à trembler, mais d’un mouvement plus fort et qui dura un peu plus longtemps que la première fois, même le bruit que l’on entendit dans l’air pendant cette seconde secousse fut beaucoup plus grand.Cet accident ne produisit point d’autre effet que d’avoir fait grand peur, et se fit sentir presque dans toute la province du Maine.
La première remarque est qu’on a affaire à un curé lettré
qui outre qu’il a une écriture agréable à lire, construit bien ses phrases,
fait preuve d’une certaine culture (il parle de la Hollande) et se laisse même
aller à quelques expérimentations …
Ensuite, ce genre de relations n’est présent que sur cette paroisse. Or,
lorsqu’on parle de froid intense, de tempête, de canicule ou encore de
tremblement de terre, on peine à imaginer que cela ait été circonscrit à la
paroisse de notre curé( il dit d’ailleurs que le tremblement de terre a
concerné selon lui toute la province). C’est dommage de ne pas retrouver ces
phénomènes ailleurs, il aurait été intéressant de croiser les témoignages.
Par ailleurs, ce qu’il décrit concerne des phénomènes
naturels et climatiques. Mon interprétation est qu’à cette époque, les gens
connaissaient bien la nature mais pas forcément la façon dont cela fonctionnait
« scientifiquement ». Aussi, tout événement extra-ordinaire devait
vraiment marquer les esprits.
Pourtant, par symétrie, on peut se dire alors que de tels
événements, même s’ils n’étaient pas consignés, devaient se produire
fréquemment et servir de repère temporel pour nos ancêtres. De même qu’aujourd’hui,
tout le monde parle de la « tempête de 99 » (moi le premier), il nous arrive de fixer des
événements familiaux par rapport à cette date.
Alors qu’aujourd’hui nous savons écrire, lire et compter et
que les ordinateurs et autres machines nous permettent de connaître les dates
de manière extrêmement précise, on imagine que nos ancêtres qui n’avaient pas
ces connaissances, utilisaient ces repères pour marquer un événement comme une
naissance ou un mariage. C’est peut-être ce qui pourrait expliquer certaines
approximations d’âges : cela serait peut-être dû non pas à une
méconnaissance des dates, mais bien à une notation relative à des événements
importants.
La lecture de ces registres permet donc de se détendre un peu
et surtout de vivre quelques instants de vie de nos ancêtres, comme si on y
était !
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