mardi 18 décembre 2012

Mourir de nostalgie ...

Pack Généatique 2012 - le cadeau idéal à faire à ceux qui veulent se lancer dans la généalogie ! 
 

En ce qui me concerne, le XIXème siècle rime pour moi avec la grande période du romantisme. Les noms de Chopin, Liszt, Flaubert, de Nerval, Lamartine, etc. me viennent spontanément à l'esprit à l'évocation de cette période.

Pour la plupart des gens, le romantique du XIXème siècle est cet homme capable de mourir d'amour car son aimée est partie ou cette femme tombant en pâmoison devant les déclamations enflammées de son jeune amant.


Mais derrière cette image d'Epinal se cache une réalité souvent plus terrible car on parle bien de mort.

1) Mourir de Nostalgie

Cette semaine, j'errais sur les registres d'état-civil de la commune de Beauvais pour tenter (en vain pour le moment) d'y retrouver les traces d'une de mes ancêtres, Victoire Comedé, décédée en cette commune sous la Révolution. et puis je suis tombé sur ça :

Du vingt deux janvier mil huit cent treize

Copie d'un acte de décès transmis par monsieur l'Econome de l'Hôpital Militaire de la ville de Calais au Maire de Beauvais

Commune de Calais
Hôpital militaire de Calais

Du Registre des décès dudit hôpital a été extrait ce qui suit :
Le sieur Crespin Eugène, fusilier à la deuxième Compagnie de la Quarante-septième Cohorte du Premier ban de la Garde Nationale, âgé de vingt deux ans, natif de Beauvais, département de la Seine Inférieure, est entré audit hôpital le treize du mois de Novembre l'an mil huit cent douze et y est décédé le six du mois de Janvier mil huit cent treize par suite de Nostalgie.
Je soussigné, Econome dudit Hôpital, certifie le présent extrait véritable et conforme aux registres des décès dudit hôpital.
Fait à Calais le six du mois de janvier mil huit cent treize signé Jandau

Nous Commissaire des Guerres, chargé de la police de l'hôpital militaire de Calais certifiions que la signature ci-dessus est celle de Monsieur Jandau, Econome et que foi doit y être ajouté (...)

J'ai crû halluciner : ce jeune homme, Eugène Crespin, était mort le 6 janvier 1812 ... de Nostalgie !

Passé mon étonnement, j'ai voulu en savoir plus car, en généalogie, la curiosité est un bon défaut ...

Commençons par le commencement.

2) Où ce jeune homme était-il affecté ?

Dans l'acte il est écrit qu'Eugène Crespin était affecté comme Fusilier à la 2ème Compagnie de la 47ème Cohorte du Premier Ban de la Garde Nationale à Calais.

J'avais oublié à quel point l'Empire s'inspirait des termes militaires Romains ...

Un peu d'histoire :
Le décret du 12 novembre 1806 a rétabli les Gardes Nationales. Tous les Français valides de 20 à 60 ans sont susceptibles d'être appelés pour le service de la Garde Nationale.

Les soldats du Premier Ban ne doivent pas sortir du territoire et celui-ci est exclusivement destiné à la garde des frontières, à la police intérieure et à la conservation des grands dépôts maritimes, arsenaux et places fortes.

Une Cohorte était composée de 10 Compagnies de 100 Gardes Nationaux.

Dans le cas d'Eugène Crespin, il est donc logique qu'il soit à Calais, qui était un arsenal important sous l'Empire. Son grade de Fusilier montre qu'il était un soldat de base, sans expérience particulière.
Par ailleurs, le fait qu'il soit dans le Premier Ban devait lui permettre de rester sur le territoire Français. Peut-être que cette affectation avait été dictée par un état psychologique fragile ?

3) La Nostalgie n'est plus ce qu'elle était ...

Il y a ensuite les causes de sa mort.

Au début du XIXème siècle les connaissances en psychiatrie étaient relativement succintes mais cependant, on arrivait à donner des noms à certains comportements sortant de l'ordinaire.

Une étude canadienne donne à ce titre une information très intéressante :

"La nostalgie est classée parmi les névroses cérébrales: c'est une sorte de monomanie qui est commune chez les soldats et les marins nouvellement incorporés. Les habitants de la Suisse, de la Bretagne, de tout l'ouest de la France, des rives du Rhin, en sont souvent affectés, tandis qu'elle est plus rare chez les Savoyards et les Auvergnats. Cette maladie, que la certitude seule de pouvoir bientôt retourner au pays a souvent guérie instantanément, peut quelquefois cependant entraîner la mort; son traitement est tout moral: on prescrit au malade de l'exercice, de l'occupation, des distractions de tout genre; en cas d'insuccès, le seul remède vraiment efficace, le retour au foyer natal. Un ordre ministériel a prescrit récemment aux chefs de corps d'accorder des congés à tous les militaires atteints de nostalgie." (M.-N. Bouillet, Dictionnaire universel des sciences, des lettres et des arts..., Paris, Librairie de L. Hachette et Cie, 1857)

Ainsi il s'agit d'une maladie qui était très prise au sérieux par les militaires.

Dans le cas d'Eugène Crespin, qu'est ce qui a pu causer cette Nostalgie ? Le fait de quitter un être cher ? Etait-ce un homme fragile psychologiquement qui n'était pas prêt à quitter sa famille ?

Il faut dire que nous sommes en 1812-1813. Même si les personnes de cette époque ne le savent pas encore, la fin de l'Empire est proche et en tout cas la conscription est de plus en plus mal vécue. Des informations arrivent donnant des nouvelles terribles sur ces batailles rangées où des milliers d'hommes meurent sous le feu ennemi.

L'Empire est enlisé en Espagne et la Campagne de Russie qui est en cours se passe mal.

On peut donc imaginer un jeune homme qui vient d'atteindre l'âge de la conscription mais qui ne veut pas partir car il sait que le service dure des années et il sait sans doute aussi que les guerres sont de plus en plus meurtrières. Il est toutefois trop pauvre pour pouvoir se faire remplacer. Il doit donc partir mais rapidement, il a le mal du pays et il est alors frappé de Nostalgie.

Son mal dure un peu moins de 2 mois et le 6 janvier 1813 il meurt. Est-il mort de tristesse ? S'est-il suicidé ? Nous n'en savons pas plus, mais une chose est sûre, sa vie s'est achevée là où, a priori, il ne risquait rien ...


Et vous, avez-vous rencontré des cas aussi étranges dans vos recherches ? 

Pour aller plus loin :


           

8 commentaires:

  1. Encore un excellent billet ... La nostalgie reconnue par les autorités militaires, ca m'épate. Quant à l'énoncer comme cause du décès, c'est encore plus étonnant

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  2. Merci du compliment !

    C'est vrai que lorsque j'ai lu l'acte de décès je n'en revenais pas ... Comme quoi, les mots ont des sens qui évoluent !

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  3. Merci pour ce billet ! En 1813, nous sommes en pleine naissance de la sémiologie psychiatrique, que Philippe Pinel révolutionne. La nostalgie est-elle la mélancolie d'aujourd'hui ?
    Et en effet, on peut penser à une manière pudique pour la grande muette, d'évoquer un suicide.
    A Vivonne, petit village de la Vienne, le maire se met à indiquer dans chaque acte la cause du décès de ses concitoyens, une mine d'informations pour les généalogistes et une occasion de réviser la sémiologie du 19è, fievre tierce, quarte, continue, putride,vermineuse hydropisie...

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    1. Le vrai problème est à mon sens que ces informations ne peuvent provenir que de personnes suffisamment éduquées à l'époque pour maîtriser le vocabulaire médical.

      C'est pourquoi je pense on aurait intérêt à fouiller davantage les documents des hospices ou des bases militaires qui disposaient de médecins !

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  4. Je connaissais la mélancolie... http://www.daieux-et-dailleurs.fr/breves-darchives/149-melancolie
    Mais pas la nostalgie !

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    1. Moi aussi ... D'où ma surprise et mon envie de faire partager cet étonnement ;o)

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  5. Très intéressant comme article
    Cela montre l'avancée "médicale" et le fait que des problèmes tout simples qui aujourd'hui ne sont pas gravés et explicables étaient perçus comme des maladies mentales ou autres.
    Ça me laisse songeur sur les maladies psy d'aujourd'hui qui n'en seront peut être plus dans le futur
    Après je ne suis pas du tout spécialiste je précise :-)
    Merci pour ces recherches en tout cas
    J'y apprends beaucoup

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  6. Il ne faut pas oublier que certaines affections psychiatriques de cette époque étaient consécutives à de graves complications neurologiques de syphilis. Et que la syphilis sévissait dans l'armée. Ce qui pourrait expliquer l'issue fatale de ces nostalgies.
    Je suis bien d'accord avec toi Benoit, concernant la psychiatrie, vivement la prochaine révolution ;-)

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