jeudi 20 décembre 2012

Et il veut le baptême ...

Pack Généatique 2012 - le cadeau idéal à faire à ceux qui veulent se lancer dans la généalogie ! 
 

Toujours parti à la recherche d'informations sur mon ancêtre Victoire Comedé, je fais de-ci de-là des découvertes plus ou moins heureuses ...

L'avantage d'avoir des ancêtres vivant dans des grandes villes c'est qu'on y rencontre des personnages importants ou des institutions qui n'existent pas à la campagne. L'inconvénient en revanche, est la quantité d'actes ... A titre d'exemple, pour la ville de Beauvais, sous l'Empire, il y a environ 400 actes de naissances et de mariage par an dans une des paroisses de la ville, tandis que pour un village moyen comme ceux où vivaient une partie de mes ascendants, on tombe à une vingtaine ...

Mais là n'est pas le propos.

Beauvais

Je suis tombé sur plusieurs actes d'enfants abandonnés dans l'Hospice des Pauvres de Beauvais, qui était d'ailleurs devenu l'Hospice du Malheur sous la Révolution ... Je l'ai déjà dit à plusieurs reprises, mais je suis toujours ému lorsqu'il s'agit de faits touchant à des enfants et j'ai beau me dire "autres temps, autres moeurs", je n'arrive pas à lire ou analyser ces actes sans me projeter sur mes propres enfants. Je pense d'ailleurs que le jour où cela ne me fera plus rien, il faudra que j'arrête la généalogie ...

Voici donc la triste histoire d'un nourrisson abandonné au printemps 1811 ...

1) Les faits

Cet acte a retenu mon attention pour plusieurs raisons :
  • tout d'abord, j'ai été surpris de la grande quantité d'actes d'abandons sur la période
  • ensuite, le nombre de détails donnés est assez étonnant car il permet d'imaginer très aisément la scène
  • enfin, cela donne une idée de la façon dont les personnes de l'époque étaient vêtues, ce qui a sans doute un réel intérêt historique.

Voici l'acte en question :

L'an mil huit cent onze, le vingt mars, sept heures et demi du soir
Par devant nous François Daude, adjoint et délégué du Maire de Beauvais pour remplir les fonctions de l'Etat-civil de ladite ville, est comparue Demoiselle Françoise Guérin, Surveillante de l'Hospice des pauvres de cette ville, y demeurant, âgée de soixante quinze ans.
Laquelle nus a déclaré que le jourd'hui, à onze heures du soir il a été sonné à la porte dudit hospice, laquelle ouverte on a visité le dépôt des enfants abandonnés et trouvé un enfant tel qu'elle nous le présente emmailloté ainsi qu'il suit : une chemise brassière, une camisole brassière de sommière blanche bordé d'indienne fond blanc fleurs rouges et bleues, deux couches, un lange doublé de molton rayé noir et blanc, deux fichus de toile de coton à carreau rouge et blanc, un bonnet piqué blanc garni de dentelle blanche, un béguin, la tête et les bras dudit enfant recouverts d'une serviette marquée en coton rouge C.F.D.
Après avoir visité l'enfant, avons reconnu qu'il était du sexe masculin, qu'il paraissait nouveau né et avons trouvé posé sur son lange un carré de papier sur lequel était écrit : "cette enfant n'est pas baptissé et veut l'être, il sera appellée Pierre Joseph il est née cejourd'huy dix neuf mars mil huit cent onze à onze heures du matin en cette ville, déposé le même jour à onze heures du soir à l'hospice. Messieurs les administrateurs dudit hospice sont invitée à conserver cette écrit devant un jour servir à la reconnoissance de cette enfant par ses parents.
Note de la layette de l'enfant : 
1° un lange de molton rayé noir et blanc
2° deux couches 
3° une brassière de sommière blanche bordé d'indienne à picot petite fleurs rouge et bleu, les bouts des manches garnie de la même indienne
4° une chemise, un bonnet piquée blanc de mousseline garnie d'une petite dentelle, un beguin, deux petits mouchoirs de cou par carreau rouge et blanc, une serviette sur la tette et les bras
Fait double à Beauvais ce 19 mars 1811."

De suite avons inscrit l'enfant sous les noms et prénoms de Pierre Joseph Zozine, et avons ordonné qu'il soit remis à l'administration des hospices, de quoi avons dressé procès-verbal en présence des sieurs Pierre Charles Cailleux, âgé de trente quatre ans et Jean François Roquez, âgé de soixante un ans, tous deux employés à la mairie de cette ville, demeurant à Beauvais qui ont signé avec nous, après lecture faite du contenu du présent procès-verbal

J'ai volontairement mis en vert le texte qui figurait sur le papier joint à l'enfant en recopiant les fautes d'orthographe.
Manifestement, il s'agit d'un abandon "économique" car il est parlé des parents de l'enfant. Il existait d'autres types d'abandons, mais ce qui est étonnant c'est que très souvent il est écrit par la mère (ou le père) qu'il y a une volonté de reconnaître à terme cet enfant ... Etait-ce sincère ? Etait-ce pour obtenir un "bon" traitement de l'enfant ? Malheureusement, les statistiques le montrent, le taux de mortalité pour ces enfants était terriblement élevé car suivant l'étude de Léon Burias réalisée sur la période allant de 1761 à 1789, il était de 75 % !

Par ailleurs, outre la description très précise des vêtements de l'enfant, on a certains indices intéressants sur les moeurs de l'époque.

Ainsi, j'ai été surpris de découvrir que les enfants de l'époque avaient déjà des couches ! Je pensais que c'était une invention récente et que jadis les enfants étaient cul-nu pour éviter aux mère de devoir, en plus, laver les couches en permanence ...
Les vêtements montrent également une certaine délicatesse. Le béguin par exemple, cette petite coiffe qui était posée sur la tête et maintenue en place par deux attaches nouées sous le menton, dénote un certain raffinement dans l'habillement.

De plus, il est indiqué qu'on veut que l'enfant soit baptisé. Dans d'autres endroits, on précise qu'il l'a été. Cela montre donc qu'en dépit du travail de sape fait par les révolutionnaires, la religion est toujours aussi présente dans l'esprit des gens et que la crainte de voir l'âme de leur enfant défunt errer éternellement dans les limbes pour cause de non baptême était insupportable.

Par ailleurs, l'enfant a été nommé par ses parents et on y ajoute le prénom d'un saint qui lui servira désormais de patronyme. Zozine, aussi écrit Zozime, est le nom d'un saint qui fût jeté aux fauves en l'an 107. Peut-être que la personne ayant recueilli ce nouveau-né lui a donné ce prénom par analogie : il allait rejoindre la cohorte des enfants abandonnés ...

2) Le triste destin de Pierre Joseph Zozine

Après cette découverte, j'ai voulu en savoir plus sur notre petit Pierre Joseph. J'ai donc compulsé fébrilement les tables décennales des années postérieures à sa naissance. L'avantage avec un nom comme celui de Zozine, c'est qu'il est à la fin des tables, ce qui raccourcit sensiblement le temps de recherche.

Beauvais - le Bureau des Pauvres

Hélas, ce que je craignais est arrivé et c'est avec un réel pincement de coeur que j'ai trouvé ceci en 1816 :

L'an mil huit cent seize le vingt huit juin deux heures un quart de relevée, 
Par devant nous Philippe Nicolas Jourdain d'Héricourt, adjoint et délégué du Maire de Beauvais pour remplir les fonctions d'officier de l'Etat-civil de la dite ville, sont comparus messieurs Jean Baptiste Derivière, âgé de soixante sept ans et Philippe Henry Secout, âgé de quarante un ans, le premier administrateur et le second secrétaire des hospices civils de cette ville, demeurant à Beauvais,
Lesquels nous ont déclaré que Pierre Joseph Zozine, âgé de cinq ans et trois mois, enfant abandonné, inscrit sur le deuxième registre sous le numéro trois cent quarante, est décédé ce jourd'hui à neuf heures et demie du matin, au bureau des pauvres de cette ville, et ont les comparants signé avec nous après lecture faite.

5 ans et 3 mois ...

Sa pauvre vie n'aura duré que 5 ans et 3 mois. Une vie terrible, sans amour, avec peut être des violences physiques, souffrant du froid pendant l'hiver, de la promiscuité, des pleurs des plus petits, du bruit permanent des disputes ...
Peut-être que je me trompe et que ces enfants étaient entourés d'affection par les personnes qui les avaient en charge. Mais il y avait tellement d'enfants.

Pourtant, cet hospice a été fondé en 1630 par Saint Vincent de Paul lui-même, pour éviter à tous ces enfants non désirés de finir leur vie dans les égoûts des villes ou comme martyrs mutilés pour permettre à leur "maître" de récolter quelque argent !

On notera par ailleurs une chose étonnante.
Alors que ces enfants proviennent pour leur quasi-totalité des classes moyennes ou les plus humbles de la population, et qu'ils sont pris en charge par l'église (le Bureau des Pauvres, futur Hospice des Pauvres est financé principalement par l'évêché), aucun des ces deux "états" ne parlera de la souffrance de ces enfants dans les cahiers de doléances de 1789.
Ce n'est, semble-t-il que la noblesse qui s'en préoccupe et qui tente de faire évoluer les choses (par respect de la vie humaine ou par crainte de voir des hordes de mendiants dégrader la sécurité des villes, difficile de savoir ...).

3) Les enfants abandonnés et la généalogie

Une réflexion que je me fais est que dans la mesure où la plupart du temps les enfants sont baptisés, il doit être possible de rechercher leur filiation dans les archives du diocèse. En effet, les actes post-révolutionnaires sont civils uniquement.

Par ailleurs, peut-être existe-t-il aux archives judiciaires des actes de reconnaissance d'enfants abandonnés à la naissance mais finalement reconnus par leurs parents ?

Dans tous les cas, cela signifie qu'il existe sans doute des moyens de retrouver le nom d'au moins un des parents de ces enfants.

Deux sites apportent des informations très importantes sur la façon dont on abandonnait les enfants et ce qu'il advenait par la suite.

Il s'agit tout d'abord du site Histoire Passion, qui est très complet et qui donne des statistiques sur le taux de mortalité des enfants abandonnés.
Ensuite, le travail qui a été fait sur l'hospice de Montmaur, où on parle des Tours d'abandon.

Je ne connais pas actuellement la manière dont sont traités les enfants abandonnés, mais je suis intimement convaincu que cela n'a rien à voir avec ce qui se faisait il y a 200 ans.
Certes, les conditions économiques et politiques sont complètement différentes et la contraception a grandement limité les grossesses non voulues, mais quelle évolution ! Ne serait-ce que le regard que nous portons de nos jours sur les enfants !

En tout cas, comme je le disais dans un article précédent : Pourquoi la généalogie est utile ? Parce qu'elle permet de redonner vie à un petit garçon abandonné au printemps 1811 et qui n'aura vécu que 5 ans et 3 mois dans le malheur. Finalement, ce sont les révolutionnaires qui ont eu raison : il s'agissait bien de l'Hospice du Malheur ...


Et vous, avez-vous découvert de telles histoires dramatiques ?

Pour aller plus loin : 

           

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