mardi 16 octobre 2012

La mortalité infantile, un drame familial


Nous avons la chance de nos jours et dans nos pays de ne pas connaître un taux de mortalité infantile trop élevé.

Nous avons cependant tendance à considérer que nos ancêtres avaient une relations aux petits enfants différente de la nôtre et que la proximité permanente de la mort (avec les guerres, les famines, les maladies, etc.) banalisait la perte d'un enfant.

Je pense quant à moi que, même pour nos aïeux qui vivaient il y a quelques siècles, la perte d'un nouveau-né était un traumatisme. La seule différence avec notre époque est qu'il était rapidement enfoui sous l'épaisse couche des nécessités de la vie.


J'ai découvert il y a peu dans mes recherches une famille qui a été très durement touchée par le destin.

Voici son histoire.

1) Raymond Gabeaud et Marie Quinti

Raymond Gabeaud est apprenti maçon et lorsqu'il rencontre Marie Quinti, elle est assez jeune puisqu'elle a à peine 16 ans.
Cependant, le mariage a lieu vers 1756 à Mareuil, en Dordogne.

Très vite, Marie tombe enceinte et le 28 janvier 1757, naît à Sainte-Croix-de-Mareuil un petit garçon qui se prénomme Joseph, comme son parrain Joseph Quinti, probablement le père de Marie, qui habite au village de la Coquille, paroisse de Saint-Pardoux-de-Mareuil.
Sa marraine Jeanne Gabeaud est de la famille du père.

Mais quelques jours plus tard, c'est le drame : le petit Joseph, à peine âgé d'une semaine décède le 5 février 1757. 
Peut-être que la jeunesse de la mère y est pour quelque chose ?  Peut-être que l'hiver de 1757 est particulièrement rude ? On ne peut pas vraiment le savoir, mais la tristesse s'empare sûrement du jeune couple.

Les temps sont durs et un nouveau-né a quand même des chances élevées de mourir lors de sa première année. Aussi, Raymond Gabeaud et Marie Quinti s'en font-ils une raison et la vie reprend ses droits ...

2) Une nouvelle grossesse

Quelques mois après la mort de Joseph Gabeaud, Marie est de nouveau enceinte.

Et le 13 août 1758, un nouveau garçon naît. Comme feu son frère aîné, ses parents décident de le prénommer Joseph !

Le parrain est encore Joseph Quinti, à qui les jeunes parents veulent vraiment semble-t-il donner un petit-fils, et la marraine est une certaine Marguerite Nebout.

Une année et demi passe et début 1760, Marie tombe à nouveau enceinte ...

3) Des jumeaux

Mais la grossesse est pénible car il faut se rendre à l'évidence, Marie attend des jumeaux !
Effectivement, le 26 décembre 1760, le lendemain de Noël, naissent Joseph et Jean.

Pour Joseph, le parrain est encore Joseph Quinti, ce qui laisse imaginer que le Joseph né le 13 août 1758 est décédé ... Sa marraine se nomme Marguerite Quinti, originaire de Mareuil ...

Pour Jean, le parrain est Jean Quinti, de Mareuil, et la marraine est Jeanne Gabaud de la paroisse de Sainte-Croix-de-Mareuil, sans doute la marraine du premier Joseph, décédé en 1757.

Mais, bien que la journée du 26 soit a priori un jour de fête, quelque chose ne va pas. Il est probable que les enfants soient nés avec de l'avance et que le climat, peut-être la faible constitution de leur mère et leur fragilité soient à l'origine de leur décès, tous les deux le 28 décembre, soit deux jours après leur naissance.

C'est la consternation.

Depuis 1757, Raymond et Marie ont eu 4 enfants dont au moins 3 sont avérés morts en bas âge, et il y a de fortes chances que le quatrième soit également décédé très jeune. Y aurait-il une malédiction ? N'oublions pas que nous sommes sous le règne de Louis XV, dans la province du Périgord et que la médecine est en concurrence avec la religion et les pratiques "magiques".


4) La vie continue

On imagine sans peine la souffrance de ce couple qui n'a toujours pas d'enfant et qui surtout semble incapable de garder à la vie plus de quelques jours ceux qui leur naissent.

Peut-être hésitent-ils alors à vouloir en avoir d'autres ? Mais les connaissances de l'époque sur la reproduction laissent à penser qu'ils ne se posent probablement pas la question en ces termes ...

Toujours est-il que le 11 décembre 1761, soit presque un an jour pour jour après la naissance des jumeaux, Marie accouche d'une autre paire de jumeaux, mais cette fois, ce sont Léonard et Jeanne.

Curieux ce choix du prénom Léonard.
Peut-être que Joseph le grand-père est décédé entre temps ? Peut-être que par superstition, les parents ne veuillent plus donner ce prénom ? Impossible à savoir.

Mais hélas, le malheur frappe encore la maison puisque le 12 décembre, Léonard décède à 1 jour, et Jeanne le suit dans la tombe le 13 décembre, âgée d'à peine 2 jours !

Je dois avouer que lorsque j'ai découvert ces actes de naissances puis de décès à répétition, je n'ai pu m'empêcher de penser à la douleur ce jeune couple. J'ai moi-même des enfants et l'idée de les perdre est insupportable. Je les ai vu naître et je sais parfaitement ce que signifie un bébé de 1 ou 2 jours.

5) L'espoir, un jour, peut-être ?

Sans faire de la psychologie de comptoir, on peut imaginer que le moral de Marie Quinti doit être au plus bas ... Est-elle seulement capable de faire des enfants ? Son mari va-t-elle la répudier ? Elle doit sans cesse vivre dans l'angoisse !

Le poids de la religion est très fort en ces temps anciens. Marie Quinti doit être désespérée. Que faire ? Se tourner vers des pratiques magiques ?

Est-ce l'endroit où ils habitent qui est maudit ? Toutes les hypothèses sont passées en revue.

Finalement, le couple décide de quitter Sainte-Croix-de-Mareuil et va s'établir à quelques kilomètres de là, à Mareuil.

Et puis un jour, elle retombe enceinte ... 2 ans après, encore en décembre, le 19 pour être précis, naît  Joseph. Un autre Joseph ...

Marie et Raymond sont angoissés. Vivra-t-il ?

Le 20 décembre, le bébé se porte bien.

Le 24 décembre, alors que la famille va à l'église Saint-Laurent de Mareuil pour la messe de Noël, Joseph se porte comme un charme.

L'espoir renaît.

Les jours passent, puis les semaines, les mois et les années.

Marie et Raymond voit leur petit Joseph grandir et devenir un adolescent puis un jeune homme. 

Ils auront même le bonheur d'assister à son mariage avec Isabeau Montozon, à Mareuil, le 29 frimaire an V (19 décembre 1796), le jour de son anniversaire ! 

Joseph aura une nombreuse descendance dont mon épouse et par conséquent mes enfants !

Mais quelles épreuves pour en arriver là ! Sur 7 enfants, un seul atteindra l'âge adulte (peut-être 2 mais cela est très peu probable ...).


Pour conclure, je dirais que même si cette époque était difficile, surtout dans les campagnes, il n'en reste pas moins que la perte de plusieurs nouveaux-nés à la suite devait être une véritable souffrance pour les parents de cette époque. J'ai en effet du mal à croire que les parents aient un tel détachement envers leurs nourrissons ...

Et vous, avez-vous découvert de tels drames chez vos ancêtres ?

Pour aller plus loin : 

           

2 commentaires:

  1. Bonjour Olivier, moi ce qui m a souvent surpris dans mes recherches c est que quelquefois, les parents n hesitaient pas a donner a un enfant qui vient de naitre le prenom porté par un frere ou une soeur mort prematurement quelques annees auparavant. Personnellement, je ne pourrais pas faire cela.

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  2. Je pourrais citer l'exemple de Jean-Sébastien Bach qui a perdu plus de dix enfants en bas âge. Nous avons sa correspondance (avant 1750 donc) et il dit lui même qu'il n'arrive pas à s'habituer à ces décès à répétition.

    Comme tu les dis, la vie était dure, et il fallait continuer quoi qu'il arrive. Et le peu de connaissance dont il disposait sur la contraception garantissait malheureusement quasiment une grossesse par an...

    Pour ce qui est des "prénoms" familiaux, il n'y avait pas besoin que l'aîné meure pour que l'on nomme le cadet avec le même nom. J'ai par exemple un ancêtre qui a eu trois filles, trois Catherine. Plus récemment, mon arrière-grand-père s'appelait Elie, comme son frère, c'est pour ça qu'on l'appelait Edouard. Ou mes arrières-grands-oncles, deux Henri et deux Charles à la suite. Puisqu'ils ont tous survécu, le deuxième Henri s'est fait appeler Eugène en famille, et le deuxième Charles, Louis.

    C'est justement pour conjurer la mortalité et lorsqu'on voulait transmettre des prénoms traditionnels familiaux (chaque famille a son/ses prénoms) qu'on nommait plusieurs enfants de la même façon, ce qui amenait aux surnoms que l'on retrouve parfois jusqu'aux actes officiels.

    Pour le nom de Léonard que tu trouves, j'ai trouvé qu'en Dordogne, les Léonard et les Aubin sont aussi fréquents que des Pierre et Jean dans le Nord. Je n'en ai que dans ce coin là pour ma part.

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