Mes recherches m’ont entraîné depuis quelques temps dans le
Languedoc, aux confins du Rouergue, dans un groupe de paroisses autour d’Ornaisons
et de Lézignan. De ces paroisses sont en effet issus une bonne partie des
ancêtres de mon épouse du côté de sa grand-mère paternelle.
Ces recherches sont passionnantes pour moi car non seulement
c’est une région que je n’avais encore jamais explorée généalogiquement
parlant, mais encore j’ai découvert des ramifications de cette branche à
Marseille et vers Rodez, ce qui démontre, une fois de plus, que certains de nos
ancêtres pouvaient être amenés à se déplacer sur de longues distances.
Lors de l’épluchage des registres paroissiaux de Ribaute,
petite paroisse située à une douzaine de kilomètres au sud-ouest de Lézignan, je
suis tombé sur un document assez étonnant. Il s’agit d’un courrier adressé par
monsieur Bréjal, curé de Fabrezan à son collègue le curé de Ribaute.
En voici la teneur.
"A Fabrezan ce 20° Xbre 1763Monsieur,Paul Labadié, jardinier de Camplong vint me trouver hier dix-neuf du courant pour me prier de lui baptiser un enfant disant que la rivière ne pouvait pas se passer.Je fus voir la rivière et je vis effectivement qu’il y avait du danger et étant surtout embarrassé d’un enfant. En conséquence je lui dis que j’étais votre bon ami et que tout ce que je pouvais faire pour vous rendre service je le faisais de nuit et de jour et qu’il n’avait qu’à m’apporter l’enfant et que je le baptiserais et que j’espérais bien que vous ne désapprouveriez pas ma conduite faisant pour vous ce que je voudrais qu’on fît pour moi.En effet on m’a apporté ce matin l’enfant en question et je l’ai baptisé, vous pouvez être tranquille là-dessus et quand il y aura occasion de vous être utile vous pouvez croire que je serai toujours prêt à le faire.Il m’a même dit qu’il avait deux enfants dans la maison malades d’une maladie qui se communique et dont plusieurs en meurent.A la vérité, j’avais samedi dernier donné un certificat à ceux qui devaient être parrain et marraine comme ils avaient satisfait à leur devoir pascal, mais ils sont revenus disant qu’ils n’avaient osé passer l’eau de sorte que ledit Paul Labadié a été obligé d’en nommer de nouveaux, ceux qu’il avait choisis ne se trouvant pas quand il est arrivé dans la paroisse.J’ai l’honneur d’être avec un parfait attachementMonsieurVotre très humble et très obéissant serviteurLebrejal, curé"
Ce courrier, outre son caractère anecdotique nous apprend
plusieurs choses intéressantes.
Premièrement, il existait une solidarité entre prêtres, même
si on peut imaginer une certaine rivalité du fait des revenus générés par leur
cure. En l’espèce, la paroisse de Fabrezan est beaucoup plus importante que
celle de Ribaute ce qui signifie donc qu’a priori le curé de Fabrezan était
plus riche que son collègue de Ribaute. Pourtant, il lui a « pris »
un baptême ce qui pourrait être à l’origine d’un manque à gagner pour ce dernier.
Certains diront que je fais du mauvais esprit, mais la nature humaine étant ce
qu’elle est, on peut tout imaginer …
Ensuite, si on regarde l’histoire racontée dans ce courrier
et qu’on observe la géographie, on comprend ce qui s’est passé. Nous sommes en
décembre, l’Orbieu, la rivière qui serpente dans la vallée et qui traverse
Ribaute, Camplong et Fabrezan est fortement alimentée par les dizaines de
rivières qui coulent depuis les monts environnant. On imagine donc qu’en hiver,
l’Orbieu devait être en crue et Ribaute se situant rive droite, tandis que
Camplong et Fabrezan se trouvaient rive gauche, Ribaute devait être coupée du
monde pendant plusieurs semaines par an.
Si on s’intéresse à la famille de Paul Labadié sur la
paroisse de Ribaute, on trouve que celui-ci, avant la naissance de son petit
enfant, a déjà eu au trois enfants de son union avec Elisabeth Espardeille :
- Catherine, née le 14 avril 1759
- Marie Thérèse, née le 6 janvier 1761
- Jeanne Anne, née le 25 juillet 1762
Effectivement, Paul Labadié est bien jardinier, mais tous
ces baptêmes précédents ont eu lieu à Ribaute, ce qui signifie que soit il a
déménagé dans la commune de Camplong entre 1762 et 1763, soit qu’il s’y
trouvait au moment de la naissance de son nouvel enfant. A ce stade, l’énigme
reste entière, même si quelques éléments décrits plus loin nous apportent
quelques éclaircissements.
Ce document décrit également une tranche de vie de nos ancêtres :
les conditions de vie dépendant de la nature, la précarité de la vie avec les
deux enfants malades, les conditions à réunir pour être parrain ou marraine avec
le poids de la religion dans la vie de tous les jours.
Pour finir sur la famille Labadié/Espardeille, on peut dire
que le destin s’est acharné sur elle dans la mesure où sur la paroisse de
Ribaute, on relève les décès suivants :
- Marie, décédée le 26 janvier 1759 à l’âge de 14 mois
- Paul, décédé le 19 septembre 1759 à l’âge de 4 ans
- Raymond, décédé le 2 août 1760 à l’âge de 7 ans
- Marie Thérèse, décédée le 9 octobre 1762 à l’âge de 21 mois
- Jeanne Anne Rosalie, décédée le 9 août 1763 à l’âge de 2 ans
Il est par ailleurs indiqué que Paul et Raymond sont nés à
Fabrezan où leur père était jardinier et sur l’acte de décès de Marie, on
apprend que Paul Labadié, originaire de Fabrezan est à Ribaute depuis 4
mois. Quant à l’acte de décès de Jeanne
Anne Rosalie, il nous apprend que les parents sont de Camplong.
Ces informations nous permettent de déterminer le trajet de
Paul Labadié et de son épouse puisqu’ils étaient d’abord à Fabrezan jusqu’au
printemps 1759, date à laquelle ils ont migré à Ribaute, où sont nées leurs
trois filles Catherine, Marie Thérèse et Jeanne Anne Rosalie. Mais ils ne sont
restés dans cette paroisse que jusqu’en 1763 puisque Jeanne Anne Rosalie est décédée à Camplong et que l’enfant dont le
courrier cité plus haut est le sujet y est né.
Reste à savoir pourquoi le curé de Fabrezan a averti son
collègue de Ribaute de ce baptême puisque d’après ce qu’on comprend, les
parents n’y habitaient plus …
Pour finir sur une note plus positive, je n’ai pas retrouvé
d’actes de décès de Catherine Labadié ni d’un autre enfant de la famille dans
les années qui ont suivi 1763. Cela signifie soit que la famille a encore
déménagé, soit que ces enfants ont survécu.
Quoiqu’il en soit, cela montre qu’un document a priori
anodin peut se révéler riche d’informations car il apporte un éclairage précis
sur la vie de nos paroisses. On peut donc compléter une généalogie avec ces
éléments et même trouver des indices pour découvrir où un de nos ancêtres
habitait et le suivre « à la trace ».
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