mardi 4 mars 2014

Cœurs brisés …


La généalogie a ceci de particulier qu’elle nous permet parfois de découvrir des textes qui, au-delà des dates mentionnées et des personnes citées, apportent des détails de la vie courante de nos ancêtres.

L'Accordée de village - Jean Baptiste Greuze - 1761


Au cours de mes recherches sur la paroisse de Béthisy Saint Pierre dans l’Oise, j’ai ainsi retrouvé un acte entérinant la rupture de fiançailles pour des raisons purement financières …

Voici le texte en question :

Ce jourd'hui dix neuvième jour du mois de juin de l'année mil six cent quatre vingt sept sont comparus par devant moi, prêtre curé de Béthisy soussigné, Denis Fagnet, garçon âgé de vingt deux ans et Marguerite Didelet, fille âgée de vingt trois ans.
Lesquels à cause qu'ils ont reconnu qu'ils s'attouchent de parenté au quatrième degré de consanguinité  et que d'ailleurs ils n'ont pas les moyens d'envoyer en cour de Rome pour en obtenir la dispense, ont volontairement et de leur propre gré renoncé par ces présentes et renoncent aux promesses mutuelles de mariage qu'ils se sont réciproquement donnés en face de la Sainte Eglise le dernier jour de décembre mil six cent quatre vingt cinq, en conséquence de quoi ladite Didelet a remis en mains dudit Fagnet une bague d'argent doré avec un livre de prière, en foi de quoi ils ont signé et fait leurs marques en présence de messire Nicolas Baudequin prêtre curé d'Orrouy, Denis Bataille, Monsieur François Desjardins, vigneron, Jean Didelet laboureur et Jeanne Collas femme de Maître Pierre Choron, marchand
Le tout sans prendre rien de part et d'autre pour les frais faits en conséquence dudit fiançailles.


Que nous apprend ce texte ?

Tout d’abord, il explicite une mention courante lors des actes de mariage « après la publication des bans et les fiançailles (…) ». On peut parfois avoir l’impression que les fiançailles sont prononcées juste avant le mariage.  Or, en l’espèce, les fiançailles (comme à notre époque) peuvent être faites bien avant le mariage.
Cela explique par ailleurs pourquoi dans certains actes de baptême, on trouve un parrain et une marraine qui se marieront plus tard. Il ne s’agit alors pas d’un simple parrain et d’une simple marraine qui se découvriront et finiront par se marier, mais bien d’un couple déjà fiancé. Ce n’est pas le cas de notre couple, mais j’ai déjà trouvé ce type relation pré-maritale à plusieurs reprises.

Ensuite, il semble que la demande de dispense suite à une consanguinité trop importante entre les futurs époux soit à leur charge. Ou en tout cas que les frais doivent être assumés, sinon par les fiancés, au moins par leurs familles.
Dans le cas de ce texte, il semble que lorsque le curé parle de consanguinité au quatrième degré, il s’exprime selon le droit civil et non pas le droit canon. En effet, dans le droit civil, ce niveau de consanguinité est atteint lorsque les futurs sont cousins germains. Or ce type de relation nécessite une dispense papale.

Enfin, le détail des cadeaux qui avaient été offerts lors des fiançailles est émouvant : un livre de prière et une bague en argent doré. Il est difficile de se représenter la valeur financière d’une telle bague, mais on imagine sans peine le désarroi de la fiancée devant rendre ce cadeau à son ex-fiancé …

Mais une découverte généalogique sans énigme ne serait pas complète …

Je me pose en effet plusieurs questions :
Les fiançailles ont eu lieu le 31 décembre 1685 et la rupture intervient le 19 juin 1687, soit près d’un an et demi plus tard. La paroisse est petite et tout le monde sait parfaitement qu’ils sont cousins germains et que leur mariage ne pourra se faire qu’après dispense accordée par le Pape.

Dans ces conditions, pourquoi avoir attendu aussi longtemps ? Cette « excuse » ne cache-t-elle pas autre chose ?
Il est parlé d’un accord volontaire et mutuel, mais quand on sait le statut de la femme à cette époque, on a du mal à croire qu’elle ait volontairement donné son accord.

Je vois plutôt les conséquences d’une affaire plus importante car comme par hasard, je ne retrouve pas la trace d’un mariage de ladite Marguerite Didelet dans les temps qui ont suivi cette rupture, tandis que Denis Fagnet épouse le 25 novembre 1687 ladite Marie Caron … Soit seulement 5 mois après avoir rompu ses fiançailles avec sa promise.

On peut croire que je vois le mal partout … Il peut tout simplement s’agir d’une toute autre version : Denis Fagnet et Marguerite Didelet s’aiment sincèrement mais étant cousins germains, ils doivent disposer d’une dispense de Rome pour se marier. Pendant des mois, ils essaient de trouver une solution, mais en vain. De guerre lasse et convaincus de l’impossibilité d’obtenir cette dispense, ils décident de rompre leurs fiançailles pour que chacun puisse reprendre sa liberté …

On en saura donc jamais vraiment ce qui s’est réellement passé.


Toujours est-il que cet acte donne un éclairage de plus sur la vie courante de nos ancêtres ce qui est déjà beaucoup !



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Pour aller plus loin :  
           

2 commentaires:

  1. Ce document est surprenant en effet. Je n'était encore jamais tombé sur la mention en droit civil d'une consanguinité dans un acte d'ancien régime. Au début j'ai pensé à la formulation "quatrième degré" prise pour "du quatrième au quatrième degré" mais la mention de la dispense de Rome semble confirmer qu'ils sont bien cousins germains. Ou alors c'est un faux prétexte pour justifier la rupture, même ça paraît gros comme excuse : le rédacteur de l'acte sait forcément qu'on n'a pas besoin de Rome pour une dispense du 4 au 4.

    Par contre ce qui est surprenant, bien que je ne connaisse pas le coût d'une demande de dispense auprès de Rome, c'est que l'époux a tout de même offert une bague en argent doré et un livre de prière. Ce ne doivent pas être de petites dépenses non plus.

    Ton analyse fait sens : il y a probablement autre chose derrière cette rupture de fiançailles... Reste à trouver quoi !

    Est-ce qu'il existe des registres suffisamment anciens dans cette paroisse pour remonter au baptême de ces deux malheureux et trouver le nom des parents ? Ça se verra tout de suite s les fiancés avaient des grands-parents communs.

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    1. Mon réflexe à effectivement été de rechercher les baptêmes de ces fiancés mais malheureusement les dates correspondent aux deux années qui manquent dans les registres !

      Je vais toutefois essayer de contourner le problème en passant par leurs collatéraux ...

      Ce qui m'étonne vraiment dans cette histoire c'est la durée des fiançailles ou plus exactement le temps qu'il a fallu pour en arriver là ...

      À suivre !

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