Il y a quelques temps de cela, je montrais que dans la
plupart des cas, les légendes familiales étaient non fondées et que certains
faits historiques, déformés par les années finissaient par transformer un
modeste artisan en un compagnon d’un Roi ou d’une Reine …
Pourtant, parfois, les faits donnent raison aux rumeurs et
on ressent alors une joie intense : celle de disposer des documents qui
attestent de la véracité de la légende familiale. C’est d’ailleurs, je pense,
le véritable bonheur, plus que celui de trouver un ancêtre « prestigieux »
ou à la vie incroyable.
Dans le cas qui m’intéresse, il s’agit de la branche
maternelle de mes enfants. Dans cette branche, il y a en gros des ancêtres dans
quatre régions de France : le Limousin, le Poitou-Charente, l’Aquitaine et
le Languedoc-Roussillon.
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Marseille - Notre-Dame des Accoules |
Il y avait déjà pas mal d’années que je voulais combler les
lacunes de la branche du Languedoc-Roussillon mais les archives départementales
de l’Aude n’étaient pas en ligne jusqu’à un passé récent et lorsque je suis
allé visiter leur site, j’ai constaté qu’elles débutaient tard, c’est-à-dire
avant 1870 … Or, je n’avais pas de document reliant la grand-mère paternelle de
mon épouse à cette époque.
Un premier coup de pouce du destin m’a fait retrouver il y a
peu les livrets de famille de cette grand-mère et de ses parents et
grands-parents. J’ai donc pu trouver les noms, prénoms et dates de naissance,
mariage et décès de ses grands-parents, ce qui, pour un généalogiste, est un
bon début.
Cette famille est issue de la commune d’Ornaisons, dans l’Aude,
en plein dans les Corbières (les amateurs de vin apprécieront). Mais très
rapidement, je me suis retrouvé dans la commune voisine de Luc-sur-Orbieu où
Pierre Martial Dulsou, maréchal de forge, a épousé en 1857 Honorine Lucie Marie
Bouzinac.
Si le mariage a eu lieu dans cette commune de Luc-sur-Orbieu
c’est parce que l’épouse en était originaire. Elle y est en effet née le 12 décembre
1836, de l’union de Joseph Bouzinac avec Marianne Pech. La famille était assez
aisée semble-t-il car Joseph Bouzinac était propriétaire. Ce dernier avait épousé Marianne Pech le 25
septembre 1835, toujours à Luc-sur-Orbieu.
Joseph Bouzinac, né le 12 mars 1812, était le fils de
François Bouzinac et de Rose Bertrand. François Bouzinac était un modeste
agriculteur. Jusque là donc, pas de quoi s’affoler car cette généalogie s’annonçait
classique et très « linéaire ». La méthode la plus simple consistant
à remonter dans le temps et à chercher l’acte de mariage de ses parents.
Après un peu de temps passé sur les registres de la commune,
j’ai trouvé que François Bouzinac avait épousé Rose Bertrand le 19 brumaire de
l’an V, c’est-à-dire le 9 novembre 1796. Dans son acte de mariage, on aprend
que François Bouzinac est sans parents, ceux-ci étant décédés. Son père se
nommait François Bouzinac et sa mère Marie Thérèse Estieu. Imaginant que
ceux-ci sont décédés sur la commune, j’ai donc remonté le temps en scrutant
attentivement les différents actes, car comme souvent, l’officier d’état-civil
de cette période révolutionnaire n’était pas vraiment un artiste …
Effectivement les deux parents de François Bouzinac, époux
de Rose Bertrand, étaient décédés respectivement le 8 vendémiaire an V, dans la
commune voisine de Ferrals, pour son père, tandis que sa mère était décédée à
Luc-sur-Orbieu le 31 juillet 1792. Rien dans ces actes ne donnant d’éléments
particuliers, si ce n’est l’âge du père (46 ans) et celui de la mère (34 ans).
Ayant une estimation de leur date de naissance et
connaissant la date estimée de naissance de leur fils François, je me suis donc
mis à rechercher leur acte de mariage. Après quelques heures, j’ai trouvé ce qui
s’apparente au Graal de tout généalogiste, à savoir leur acte de mariage, en
date du 24 novembre 1773, dont voici la transcription :
« L’an mil sept
cent soixante treize et le vingt quatrième jour du mois de novembre, après la
publication de trois bans ou annonces faites au prône de notre messe de
paroisse pendant trois dimanches consécutifs dont le dernier a été le sept de
ce mois vingt troisième dimanche après pentecôte, nous avons conjoint en
légitime mariage
le Sr François Bouzinac
de la Bastide, huissier, fils de feu Sr J… D… Bouzinac de la Bastide,
Vice-chancelier du Consulat d’Espagne et de Naples et de Dlle Marie ? Peirot,
mariés, de la ville de Marseille, d’une part, habitant depuis environ quatre
ans dans cette paroisse, âgé d’environ vingt huit ans
Et dlle Marie Thérèse
Estieu, fille de feu François Estieu, ménager et de Marie Gouset, mariés, de
cette paroisse, âgée d’environ dix sept ans, d’autre part,
Du consentement de la
mère de l’époux, comme il conste par sa procuration en faveur de maître
Théodore Jean Maragon, avocat au parlement retenue par le Sr …, notaire royal
de Toulouse, en date du troisième du même mois, contrôlé le même jour par
défaut dûment légalisé par messire de Lartigue, juge mage en la Sénéchaussée de
Toulouse et du consentement du Sr Jean Pierre Faby, maître en chirurgie au lieu
de Lézignan, curateur de ladite demoiselle Marie Thérèse Estieu, comme il
conste par le contrat de mariage retenu le jour d’hier par le St Cassan,
notaire du lieu de Lézignan
Sans qu’il soit venu en
notre connaissance aucun empêchement canonique ni civil et toutes les
formalités en tel cas requises dûment observées, nous avons célébré la Sainte
Messe et leur avons départi la bénédiction nuptiale.
Présents les Sr Maître Jean Théodore Maragon, avocat en
parlement, procureur fondé de la mère de l’époux, Jean Pierre Faly, curateur de
ladite épouse, Joseph Farale Philibert Maragon, Bruno Maragon, François
Aspergès, ménager, Jacques Guillaumon, signés avec nous vicaire, le procureur
fondé de l’époux,le curateur de l’épouse, l’époux et non l’épouse pour ne
savoir de ce requise. »
Pour le lecteur, cet acte ne signifie rien de particulier,
si ce n’est le fait que François Bouzinac, époux de Rose Bertrand est le fils
de François Bouzinac de la Bastide, huissier et fils de J. D., Vice-Chancelier du Consul d’Espagne et de
Naples et de Marie Peirot.
En réalité, cela démontrait qu’une légende familiale,
colportée par la grand-mère paternelle de mon épouse disait vraie lorsqu’elle
disait descendre de « Bouzinat de la Bastide ». Je me souviens que je
prenais ces assertions à la rigolade, certain qu’une fois de plus, le temps
avait déformé les faits … Or je me trouvais là face à cette preuve irréfutable !
Mais, trouvant ces preuves, une autre légende se rappelait à
ma mémoire, celle d’ancêtres Espagnols dont ma femme ne cessait de me parler.
Or pour le moment, la seule information donc je disposais était l’origine Marseillaise
de cette famille, ce qui était déjà surprenant en soi !
Poussé par la curiosité, j’ai donc continué à remonter dans
le temps à la recherche d’informations sur J.D Bouzinac de la Bastide et Marie
Peirot. Le problème avec Marseille est que la ville est immense, même sous
Louis XV, et qu’elle compte un nombre incalculable de paroisses ! C’est là
où Généanet m’a aidé car un seul arbre a été fait sur cette famille et faisait
état d’un mariage en 1746.
Jai donc épluché tous les registres des paroisses
marseillaises pour l’année 1746 jusqu’à trouver ce que je recherchais, dans la
paroisse de Notre-Dame des Accoules, le 11 avril 1746 :
« Du onzième avril
Après une publication dans notre paroisse sans empêchement,
avec dispense de deux autres contrôlé le second du courant, avec la dispense du
temps prohibé, les mortuaires des père et mère de l’époux, icelui du père de
l’épouse, les certificats de catholicité, état libre de tout lien et engagement
des parties et leur domicile en cette ville, le tout même attesté par les
témoins sous-nommés,
Nous avons marié par parole de présent
Sr Joseph Dominique Bouzinac dit de la Bastide, âgé de vingt
sept ans, Secrétaire du Sr Consul d’Espagne et des Deux-Siciles, résidant rue
du Coin de Reboul dans notre paroisse, fils de feu Jacques, vivant Bourgeois et
de feue Ursule Catherine Dachoritegai, de Madrid, résidant dans notre paroisse
à la rue du Coin du Reboul depuis sept ans d’une part
Et Dlle Suzane Peirot, âgée de seize ans, fille de feu
Pierre, vivant maître boulanger et de Honnorade Bergier, de cette ville,
résidant à la susdite rue du Coin de Reboul, dans notre dite paroisse d’autre
part
Le tout en présence du Sr Louis Bremond, maître maçon,
risidant à la Porte d’Aix, curatur nommé à la minorité de l’épouse par Mr le
Lieutenant en ce siège le six du courant, contrôlé ledit jour, de la mère de
l’épouse et les témoins requis, savoir Jean Baptiste Beillon, maître tailleur,
résidant au Coin de Reboul, Antoine Roche, Bourgeois rue des Calus, Jean
Baptiste Camoin, boulanger, rue d’Aubagne et Adrien Roman, cordonnier, rue de
Nègre, tous signés, excepté la mère de l’épouse qui a dit ne savoir écrire, de
ce enquise par nous vic. soussigné. »
Cet acte est fondamental à mes yeux car il donne trois
informations très importantes :
-
Joseph Dominique Bouzinac dit de la Bastide n’était
pas un aristocrate, mais un bourgeois dont le nom était en train de se
contruire (le « dit de la Bastide » se transformant à la génération
suivante en « de la Bastide »)
-
La famille était en train de gravir les échelons
de la hiérarchie sociale et la Révolution Française a tout stoppé !
-
La mère de Joseph Dominique, une certaine Ursule
Catherine Dachoritegai est dite « de Madrid », serait-ce la preuve de
son origine espagnole ?
On remarque que si, effectivement, la mère de Joseph
Dominique était Espagnole, celui-ci a pu être « embauché » par le
Consul d’Espagne et des Deux-Siciles à cause de ses origines et de maîtrise
supposée de l’espagnol ?
En tout cas, ces quelques jours de recherche ont ouvert des
horizons immenses sur cette branche car, partant d’un « simple »
propriétaire terrien d’un petit bourg de l’Aude, je suis arrivé à une famille
bourgeoise en pleine ascension sociale sous le règne de Louis XV, qui avait
probablement des origines partiellement espagnoles et qui était établie à Marseille,
évoluant dans le milieu de la diplomatie !
Les deux légendes familiales parlant d’ancêtres « nommés »
de la Bastide et ayant des origines Espagnoles sont donc avérées !
Mon seul regret est que la grand-mère de mon épouse ne soit
plus de ce monde, je suis certain qu’elle aurait été ravie de toutes ces
découvertes, même si la réaction de mon épouse, lorsque je lui ai montré mes
trouvailles a été simple et lapidaire : « Je savais bien que c’était
vrai … »
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