Stèle funéraire en mémoire des parents de Hierosme Carrier - Source Wikipedia |
En ce mercredi 30 août de l’an de grâce 1645, jour de la Saint Fiacre et seconde année de la Régence de la Reine Anne d’Autriche, mère du jeune Louis le quatorzième, la foule se presse devant l’église de Saint-Pierre de Béthisy. La chaleur est étouffante et les tenues légères des laboureurs et autres hommes de la terre contrastent avec les vêtements lourds et empesés des bourgeois et des notables locaux.
Aujourd’hui, la messe est célébrée par vénérable et discret
messire Jacques Mariage, curé de la paroisse depuis près de 15 années. Tout se
passe très bien pendant la cérémonie, mais à la sortie, est-ce la chaleur
lourde dans l’église ou le soleil de cette fin août qui frappe encore très
fort, toujours est-il que maître Hierosme Carrier, le Procureur du Roi de la
présente châtellenie s’interrompt en plein milieu d’une phrase alors qu’il
était en train de parler à un de ses greffiers.
Ses yeux roulent et il balbutie quelque chose d’incompréhensible
avant de s’écrouler lourdement.
Aussitôt c’est la panique. Les femmes se mettent à crier,
les enfants à pleurer et il n’y a que son fils Bernard qui appelle maître Nicolas
Louis, le chirurgien, pour aider son père à se relever. Mais celui-ci, quoique
respirant encore est inconscient et ne peut être remis debout.
Des hommes aident alors le fils du procureur et le
chirurgien à hisser le corps de maître Hierosme sur une carriole. Celle-ci
quitte précipitamment la place de l’église pour rejoindre le logis du procureur
du Roi qui respire faiblement.
Une fois le cortège arrivé en la maison Carrier, maître
Hierosme est porté à sa chambre et le chirurgien maître Louis peut enfin l’examiner.
Après quelques minutes, il se tourne vers Bernard Carrier son fils et lui dit d’une
voix grave : « Mon ami, je crains que votre père ne soit victime d’une
attaque d’apoplexie. Il n’y a rien à faire d’autre que de prier pour son âme
qui va bientôt quitter ce corps. »
Jeanne Bergeron, la femme de maître Carrier vient d’entrer
dans la chambre accompagnée d’une servante. Elle ne dit rien et regarde le
corps moribond de son mari sans dire un mot. Elle se retourne vers son fils et
lui dit : « Mon fils, voici que le destin nous frappe à nouveau.
Après la mort de ton frère Jean il y a 4
ans, ton père n’était plus le même homme. Aujourd’hui, il va bientôt rejoindre
ses aÏeux. J’ai envoyé Pierre quérir le curé pour préparer ton père à
rencontrer le Très-Haut. »
Quelques heures après ce drame qui a choqué les habitants du
bourg, le calme est revenu et des messagers de la châtellenie arrivent au logis
de maître Carrier pour s’enquérir de l’état de santé de ce dernier. Il faut
dire que le Procureur du Roi en la châtellenie de Béthisy et Verberie n’était
pas jeune et avait même atteint un âge avancé. Mais avec les années, les
habitants de la paroisse s’étaient habitués à sa présence et personne ne
pouvait envisager sa disparition. Son grand âge et son expérience l’avaient
rendu très humain et bien qu’il défendît toujours les intérêts du Roi ses
requêtes étaient souvent accueillies positivement.
Le sieur du Hazoy, monsieur d’Anthonis, l’appréciait grandement et se reposait entièrement sur lui
pour les affaires de justice de la châtellenie.
Bien sûr, son fils Bernard allait prendre la suite et sur un
plan pratique, rien n’allait changer, mais sa disparition allait quand même
laisser un grand vide.
En début de soirée, messire Mariage est arrivé au logis de
maître Carrier et s’apprête à le confesser. Mais ce dernier est toujours
inconscient. Impossible donc dans ces conditions de le préparer dignement à son
arrivée dans le royaume des cieux. Cependant, messire Mariage et un grand
nombre de témoins peuvent attester de la grande foi de maître Carrier qui se
rendait à la grand’messe dominicale et aux messes consacrées aux saints patrons
de la paroisse.
Et puis, messire Mariage n’avait-il pas entendu le Procureur
du Roi en confession pas plus tard qu’hier ?
La veillée se déroule dans le calme et la chaleur de la
journée fait bientôt place à une fraîcheur agréable. Hierosme Carrier a été
déshabillé et il est à présent recouvert d’une simple chemise de lin blanc. Sa
respiration est faible mais régulière et maître Louis qui le veille s’inquiète
de l’ombre qui commence à marquer le contour de ses yeux. Il se retourne vers
messire Mariage et lui glisse « Je crains qu’il ne passe avant deux jours.
Ma science ne peut rien contre ce mal. Je vous le confie donc mon père. »
Dans la cuisine, on s’affaire. La cuisinière et ses aides
préparent un grand repas pour servir à manger aux nombreux visiteurs qui se
pressent et qui seront encore plus nombreux demain. Car personne ne doute que
le maître de maison passera cette nuit ou demain.
Pourtant la journée du jeudi dernier jour d’août se passe
dans le calme. Rien n’est à signaler si ce n’est quelques légers tremblements
du bras du malade. Son corps est presque immobile.
Le Bailli en personne est venu rendre visite à son vieil ami
et il est prévu que Monsieur d’Anthonis
lui-même passe en fin de journée.
Tout le monde parle à voix basse comme si on avait peur de
gêner le mourant puis le brouhaha s’estompe, laissant la place au silence de la
nuit.
La cloche de l’église vient de sonner les matines quand
maître Louis remarque un léger affaissement du visage du malade. Il s’approche
du visage et colle son oreille sur la bouche de Hierosme Carrier : pas un
souffle. Il appelle alors une servante lui demandant d’aller rapidement lui
chercher un bol de vinaigre, mais l’odeur âcre du liquide laisse le visage sans
réaction. Il pince alors violemment l’orteil droit, pas de réaction.
Se retournant alors vers Bernard Carrier et Jeanne Bergeron
qui viennent d’entrer dans la chambre, il leur dit d’une voix rendue rauque par
la fatigue accumulée : « S’en est fini. Son âme est à Dieu. »
Une larme coule sur la joue de Jeanne tandis que Bernard sert les poings pour
contenir sa tristesse.
Messire Mariage arrive juste du presbytère et ne peut que
constater le décès à son tour. Les prières d’usage faites, le corps est laissé
aux proches qui vont en effectuer la toilette.
A peine deux jours après le drame vécu par les habitants de
la paroisse, les voilà de nouveau rassemblés devant l’église où arrive le
cortège funèbre. Seulement cette fois-ci la foule s’est enrichie des notables
et nobles personnes des environs, venus rendre un dernier hommage à celui qui a
occupé la fonction de Procureur du Roi en la châtellenie et de Garde des Sceaux
du baillage de Béthisy pendant de nombreuses années. On retrouve en effet Monsieur
François d’Anthonis et Damoiselle Catherine de Nancelles, le sieur et la dame du
Hazoy, le Bailli, un représentant de l’Evêque de Soissons et tous les officiers
du greffe accompagnés de leurs épouses.
Comme il se doit, Maître Hierosme Carrier sera inhumé dans l’église,
à côté de ses parents Denis Carrier et Florence Bergeron qui y reposent déjà
depuis plus de 40 ans …
Petit à petit la foule quitte les lieux et seuls restent
dans l’église, devant la stèle funéraire
dont les joints sont encore frais, Bernard Carrier et sa femme Anne Colas
accompagnés de leurs enfants. Anne a un léger frisson et elle fait signe à son
mari qu’elle souhaite sortir. Il faut dire qu’elle est sur le point d’accoucher
de son huitième enfant. Le couple et ses
enfants sortent enfin de l’église. En voyant maître Louis le chirurgien qui a
accompagné son père dans ses derniers moments, Bernard se promet d’aller le
voir sous peu : ce sera le parrain de cet enfant à naître. Il lui doit
bien ça …
Epilogue :
Hierosme Carrier, Procureur du Roi en la châtellenie de
Béthisy et Garde des Sceaux audit Baillage de Béthisy est né vers 1577. Il
était fils de Denis Carrier, aussi Procureur du Roi et de Florence Bergeron. Il
a épousé Jeanne Bergeron, fille d’une grande famille d’officiers royaux de la
région.
Son fils Bernard sera Sergent royal puis Procureur à la mort
de son père héritant ainsi de sa charge. Jeanne, la fille de celui-ci, baptisée
le 17 septembre 1645, soit environ 2 semaines après la mort de Hierosme se
mariera plus tard avec Jean Patour.
Cette branche de ma famille se mélange avec celle des Louis
puisque Nicolas Louis, chirurgien à l’époque des faits est non seulement un de
mes ancêtres directs mais a effectivement été le parrain de Jeanne Carrier.
Ainsi, bien avant que les descendants de Hierosme Carrier et
de Nicolas Louis ne se soient unis le 21 juin 1884, des liens existaient déjà
entre ces deux familles 240 ans auparavant …
Les sources historiques de cette histoire sont le registres des BMS de Béthisy-Saint-Pierre et la stèle funéraire de Denis Carrier et de Florence Bergeron érigée par Hierosme Carrier et son frère Michel en mémoire de leurs parents. Cette stèle est actuellement visible dans l'église de Béthisy-Saint-Pierre.
Pour le reste, j'ai laissé mon imagination relier ces éléments ...
Si cette histoire vous a plu, n'hésitez pas à la diffuser ou à la commenter !
Bonjour
RépondreSupprimerJ'étais sûre que vous alliez reprendre à l'occasion la ligne éditoriale retenue pour le challenge !
En tout cas cela donne du corps à vos ascendants.
Nésida
Bien vu ;-)
SupprimerC'est vrai que c'est un exercice qui me plaît beaucoup !
Bonjour
RépondreSupprimerVotre article m’intéresse beaucoup ! Je suis dans cette lignée... avez-vous des coordonnées à me communiquer ?
Merci