Si on regarde l’histoire de France rapidement et dans les grandes lignes, on se dit que la Révolution Française, outre qu’elle a aboli les privilèges de la noblesse et du clergé, a doté la nation d’une constitution et a permis d’instaurer la démocratie.
Il s’agit évidemment d’un raccourci qui non seulement ne décrit pas la réalité :
la démocratie au sens où nous l’entendons aujourd’hui avec le suffrage
universel est très récente et la notion de liberté qui est souvent associée
dans notre inconscient collectif avec celle de démocratie n’était pas vraiment
de mise lors de la Terreur …
La question qu’on peut alors se poser est la façon dont
fonctionnaient nos villages et bourgs sous l’Ancien Régime. Je parle
volontairement de villages et de petites paroisses car Paris et les grandes
villes ne sont pas toujours représentatives de ce qui se passait dans le reste
du royaume.
J’ai récemment lu (ou plutôt parcouru quelques heures
durant) deux ouvrages écrits en 1882 par Louis Marie François Guiller, chanoine
titulaire de Laval et qui traitent de l’histoire religieuse et féodale de
Changé-lès-Laval, paroisse jouxtant Laval et de nos jours réduite à un quartier
de cette ville.
Il est clair que les idées politiques de notre auteur
guident son récit, mais il cite tellement de sources précises et d’actes de
toutes sortes qu’on peut cependant considérer les informations qu’il donne
comme fiables.
Ainsi, notre
chapelain nous apprend que :
« (…) les affaires paroissiales à cette époque (XVIIème siècle) étaient réglées par le général des habitants, réunis en congrégation ou assemblée, à l’issue de la grand’messe. C’étaient dans ces assemblées que se donnaient les baux tant des immeubles, pré, closeau, maisons et jardins (…) »
Et plus loin :
« Dans chaque paroisse existait un procureur-marguillier et un procureur-syndic (élus pour 2 ans dans la paroisse de Changé). C’était à la diligence du premier que le général des habitants était convoqué, quand il s’agissait des affaires de la fabrique, des réparations à exécuter aux bâtiments de l’église et au clocher, ou des décorations intérieures de l’édifice sacré. Lorsqu’il s’agissait des affaires intéressant la communauté entière, le procureur-syndic provoquait les assemblées générales, qui se tenaient le dimanche, à l’issue de la grand’messe paroissiale, après convocation faite au prône et au son de la grosse cloche. (…) Un ou plusieurs notaires étaient appelés et rédigeaient, séance tenante, par un acte public et authentique, les procès-verbaux de ces réunions, lesquels étaient ensuite signés par les témoins à ce requis et par tous les habitants présents sachant le faire. »
Je dois avouer qu’à la lecture de ce texte, j’ai été
vraiment surpris de voir à quelle point ces villages du milieu du XVIIème
siècle étaient organisés et modernes ! On est loin de l’image de paysans
ignares subissant les prêches en latin du curé qui n’avait que pour but de
récolter sa dîme …
Mais, on ne se refait pas et j’ai quand même voulu vérifier
ces informations données par ce chapelain.
Et c’est ainsi que je suis allé fouiller du côté de Saint-Céneri-le-Gerei,
dans l’actuelle Orne, à environ 80km au Nord-Est de Laval. Il se trouve en
effet qu’une partie de ma famille provient de cette paroisse assez atypique et
j’ai donc eu l’occasion à plusieurs reprises d’en parcourir les registres
paroissiaux.
Je dis atypique parce que dans le dernier tiers du XVIIème
siècle, elle a eu comme curé un certain messire Bourdon qui avait comme
principe de noter sur ses registres, tous les événements concernant ses
paroissiens, y compris lorsqu’un tel passait un contrat avec tel autre. Ainsi,
nous avons une véritable annexe des actes notariés car on a un résumé de la
transaction, du notaire concerné, du montant de la transaction, etc..
Et évidemment, on a les comptes-rendus des assemblées
générales dont parle notre chapelain.
D’ailleurs, je ne résiste pas au plaisir de partager ici le
compte-rendu de deux de ces assemblées qui statuaient sur qui allait payer et collecter
la taille … Je croyais naïvement au départ que cet impôt était collecté par des
officiers royaux ou seigneuriaux, alors qu’en fait les paroissiens s’en
chargeaient à tout de rôle … Etonnant, non ?
« Le dimanche trentième jour de septembre mil six cent quatre vingt cinq, devant nous Jacques Bourdon, prêtre curé de St Cénery le Gerei, les paroissiens de ladite paroisse dont les noms ensuivent Pierre Camus, François Marquet, Nicolas Lheraunet, Paul Tousel, René Ribot, Christophe Leurson, Jacques Duval, Vincent Fortin, Gilles Métayer, René Olivier, Michel Petienne, François Fouqué, Nicolas Mercier, étant assemblés à l’issue de la messe paroissiale après le son de la cloche au lieu accoutumé en forme de général ont tous d’un commun consentement nommé pour collecteurs de la taille de l’année suivante 1686 les personnes de Guillaume Marchand, René Cosseron et René Ribot et pour procureur syndic Jacques Duval et ce en présence de Michel Camus, bourgeois d’Alençon et de maître Vincent Fortin, diacre de cette paroisse, lesquels ont signé (…) »
Suit un acte de baptême puis :
« Le dimanche quatrième jour de novembre mil six cent quatre vingt cinq, devant nous Jacques Bourdon, prêtre curé de la paroisse de St Cénery le Gerei, les paroissiens de ladite paroisse dont les noms ensuivent François Marquet, André Mainfray, René Olivier, René le Feuvre, Pierre Touchar, Jacques Duval, Pierre Camus le jeune, Christophe Leurson, Pierre Pitton, Pierre Marquet, Michel Duval, étant assemblés à l’issue de la grande messe paroissiale dudit lieu en la manière accoutumée ont tous d’un commun consentement nommé pour être enrôlés aux rôles de la taille de l’année mil six cent quatre vingt six les personnes de René Fouqué, François Fouqué, René Ribot, Urbain Fouqué, Gilles Buberon et pour être dérôlés René Soutif et Louis Patry l’aîné, la veuve Pierre Vin…, Christophe Leurson le jeune, Pierre Fortin, Jacques Guilpin, Charles Troussard, Marguerite Legros veuve Gabriel Bourdin, à quoi personne n’a contredit.Fait ledit jour et an que dessus et présence de Maître Vincent Fortin, diacre de cette paroisse et René Coutrel de Moulions, témoins. »
C’est toute la vie d’une paroisse qui s’écrit devant nous
avec son fonctionnement interne et un fonctionnement qui semble assez sérieux
puisque la communauté décide qui peut/doit payer l’impôt ou non. Et tout ceci
sans que cela soit imposé par une quelconque autorité extérieure …
Ainsi, le chapelain Guiller ne se trompait pas lorsqu’il
décrivait le fonctionnement de sa paroisse sous Louis XIV. Cependant, il
est à mon avis assez rare de trouver des curés qui décrivent autant la vie de
leur paroisse dans leurs registres, ces informations étant en principe portées
sur les registres tenus par les marguilliers.
Si on s’en tient à la définition d’origine, alors oui, il
existait une forme de démocratie dans nos campagnes même sous le règne de celui
qui est décrit comme l’archétype du monarque absolu. On découvre qu’en fait,
les organisations paroissiales étaient très vivantes et très dynamiques, prenant
en main leur gestion et ne reportant à des autorités extra-paroissiales qu’en
cas de litige important.
Ces éléments devraient nous faire réfléchir sur la façon
dont on enseigne l’histoire de France à nos enfants, mais ceci est un autre débat
…
Et vous, avez-vous eu des témoignages de la sorte dans vos
recherches généalogiques ?
Pour aller plus loin :
Article fort intéressant. J'ai moi aussi été surprise pour les mêmes raisons quand j'ai commencé à approfondir mes connaissances sur ce sujet. Je n'ai pas la chance d'être tombée sur un curé scribe des affaires de sa paroisse ... Mais j'ai deux marguilliers dans mes ancêtres, j espère en savoir plus sur eux un jour, comme cela permet de remonter juste avant 1700, ca serait surement passionnant
RépondreSupprimerMerci.
SupprimerIl est vrai que plus j'avance dans mes recherches, plus je constate que finalement la vie pratique de nos ancêtres n'était pas si différente de la nôtre ...