En 1993, j’assistais au mariage d’un cousin et à cette occasion je discutais avec un grand-oncle, le frère aîné de mon grand-père maternel. Celui-ci me raconta que sa famille, quoiqu’originaire à première vue du Jura provenait en fait de la Marne, le « migrant » étant Gendarme à cheval et ayant eu un poste dans le Jura.
Les années ont passé et j’avais toujours cette information
en tête. Le problème est que les Archives Départementales du Jura ne sont pas
en ligne et que je me trouve trop loin pour y aller directement. Mais, lorsque
j’ai participé au déménagement de ma grand-mère maternelle j’ai retrouvé, dans
les papiers de mon grand-père, une petite fiche cartonnée où celui-ci avait
soigneusement noté son ascendance agnatique jusqu’à un certain Pierre
Jacquesson (sosa 2560), né vers 1650 à Hans dans la Marne.
Mon sang n’a fait qu’un tour car si les Archives du Jura ne
sont pas ligne, celles de la Marne le sont et je savais approximativement où
commencer mes recherches. En route donc pour la commune de Hans (qui se trouve
être située à quelques kilomètres au Nord-Ouest de Valmy …) à la recherche de
mes ancêtres Jacquesson.
La première découverte que j’ai faite c’est que l’ancêtre
ayant migré de la Marne vers le Jura est Jean Louis Jacquesson (sosa 80), né en
1806 à Hans du mariage de Louis Victor Jacquesson (sosa 160) et de Marie Jeanne
Lapotre (sosa 161).
Je dois dire que c’est avec une grande satisfaction que j’ai
épluché les registres de cette paroisse car le curé de l’époque avait une vraie
belle écriture et donnait moult détails sur les personnes qu’il mariait ou
enterrait. Ainsi, j’ai découvert que Louis Victor Jacquesson (sosa 160), né le 14
mars 1772 à Hans de l’union de Louis Jacquesson (sosa 320) et Marie Sirot (sosa
321), occupait la fonction de domestique.
La première mention qui est faite de ce métier est dans son
acte de mariage en date du 29 nivôse an IV (19 janvier 1796) et cela le suit
jusqu’en 1805 où il devient manouvrier. Ensuite, il passe propriétaire en 1825
et finit sa vie comme cordier.
Une vie assez curieuse car il n’est pas courant qu’un
domestique et manouvrier devienne propriétaire.
Mais en remontant à ses parents, je découvre que Louis
Jacquesson était laboureur jusqu’à la Révolution Française pour ensuite devenir
cultivateur. Changement de vocabulaire ou changement de statut ? Difficile
de la savoir, toujours est-il que c’est en 1825 que mon Louis Victor Jacquesson
(sosa 160) son fils devient « propriétaire », année de la mort de sa
mère. Un peu comme s’il avait hérité d’un bien de ses parents !
Mais la vraie surprise est venue d’Etienne Jacquesson (sosa
640), le grand-père de Louis Victor et le père de Louis. En effet, ce dernier
est déclaré comme laboureur entre 1782 et 1797 puis passe propriétaire jusqu’à
sa mort en 1800. Mais surtout, il est déclaré comme Procureur fiscal en la
justice et baronnie de Hans !
Procureur fiscal - Source Infini de France |
En continuant mes recherches sur les autres ancêtres de mon Jean
Louis Jacquesson, le fameux migrant, j’ai découvert des laboureurs qui étaient
également des Lieutenants de justice, un notaire royal qui étaient un autre
procureur fiscal, un laboureur-aubergiste et un laboureur qui occupait les
fonctions de marguillier.
Bref, pour faire simple, quasiment tous les ascendants
hommes de Jean Louis Jacquesson occupaient deux fonctions : une fonction
qui constituait leur métier de base (laboureur, notaire royal) et une fonction
honorifique (mais pas que …) comme Procureur fiscal, Lieutenant de justice ou
Marguillier.
J’y vois un parallèle aujourd’hui avec des salariés ou des
employeurs qui peuvent être conseillers aux prud’hommes ou des chefs d’entreprise,
juges consulaires ou membres d’une CCI.
Mais qu’étaient au juste ces fonctions ?
Le Procureur fiscal était celui qui représentait le « ministère
public », autrement dit le Seigneur, et qui défendait ses intérêts dans
les affaires relevant de la justice seigneuriale. Il était donc un juge de
proximité qui intervenait dans les conflits locaux. Le Procureur fiscal était
nommé par le Seigneur.
Le Lieutenant de justice était l’adjoint du juge qui, selon
les régions se nommait le prévôt, le sénéchal ou le bailly. En cas d’absence de
celui-ci, il pouvait le remplacer. Le Lieutenant était également nommé par le
Seigneur.
Le Marguillier était un laïc membre du conseil de fabrique
et était chargé de l’administration des revenus de la paroisse. Il était élu
parmi les notables de la ville et réglait les tarifs des bancs, des
inhumations, des mariages, etc.. Bref, il avait un véritable pouvoir au sein de
la paroisse car il tenait les cordons de la bourse !
Dans le cas présent
on a donc une famille de notables qui a eu la fâcheuse tendance à ne se
marier qu’entre-soi. La conséquence est que sur la paroisse de Hans et sur
celle de Saint-Rémy-sur-Bussy, près de 70% des actes concernent des membres de
la famille ou de ses alliés !
Personnellement, je pense que Louis Victor Jacquesson et de
Marie Jeanne Lapotre n’ont pas nécessairement vu la Révolution Française d’un
bon œil car tout leur réseau d’influence a été cassé à cette époque. Sans doute
que si la Révolution n’avait pas eu lieu, leur descendance aurait continué à
progresser et à s’allier à d’autres familles encore plus prestigieuses, mais l’histoire
est ainsi faite …
Ainsi, en partant d’une simple fiche cartonnée laissée par
mon grand-père dans ses affaires, j’ai donc pu commencer à défricher une
branche dont je ne connaissais rien et découvrir une vie locale très bien
organisée.
En effet, le monde sous l’Ancien Régime ne se limitait pas à
des Nobles qui passaient leur vie à chasser et à faire la guerre, à des curés
qui percevaient la dîme sans rien faire et à un Tiers-Etat laborieux. Non, le « tiers-état »,
tout roturier qu’il était pouvait, par sa notabilité, par son savoir et son éducation
(tous les ancêtres cités dans ce billet, hommes et femmes savaient signer et
avaient une signature fort élégante) progresser et participer de manière active
à la vie de la cité. Un véritable contre pouvoir donc.
Mes ces tâches administratives ne pouvaient se faire qu’en
parallèle de leur vie courante, qui les faisait vivre. En quelque sorte, un
cumul des mandats avant l’heure ?
Et vous, avez-vous des ancêtres « cumulards » ?
Pour aller plus loin :
Bravo pour cet article très intéressant !
RépondreSupprimerJ'ai également retrouvé des procureurs fiscaux parmi mes ancêtres (aussi dans la Marne !). L'un d'entre eux a même été, au cours de sa vie, laboureur, vigneron, marchand et cabaretier ! Il va d'ailleurs falloir que je reprenne mes recherches à son sujet pour mieux comprendre son parcours :-)
Elise
Merci de ce commentaire ! C'est effectivement curieux cette "cristalisation" autour de la Marne car c'est pour le moment le seul département où j'ai retrouvé cette fonction ...
SupprimerLes procureurs fiscaux ne sont pas propres à la Marne, on en trouve aussi dans l'Yonne (concernant ceux que j'ai trouvés, le seigneur des lieux était, si je ne m'abuse, l'évêque d'Auxerre).
SupprimerBonjour
SupprimerC'est certain que la fonction de Procureur Fiscal devait exister dans tout le Royaume. Ce qui est curieux, c'est que c'est (pour le moment) seulement dans la Marne que j'en ai trouvé la mention. Rien en Dordogne, Corrèze, Loire, Mayenne, Sarthe.
Cette profession existait aussi en Bretagne et sûrement dans d'autre régions même si l'appellation peut y être différente.
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