mercredi 12 septembre 2012

Les lieux d'inhumation des Huguenots


Etant moi-même protestant, j'ai toujours eu à coeur de comprendre la façon dont une partie de mes ancêtres ayant la même religion que moi vivaient.

Aujourd'hui, en France, le fait d'être protestant ne pose aucun problème, mais il n'en a pas toujours été de même. Les témoignages que l'on relève dans certains registres paroissiaux montrent que sous certaines périodes, "persécution" n'était pas un vain mot.

En me documentant sur le sujet, je suis tombé sur plusieurs informations importantes concernant les rites funéraires des protestants en France. Et j'ai souhaité partagé cela dans cet article.

 

1) Les fondements religieux des rituels

Dès le départ, Luther rejette le sacrement catholique de l'extrême-onction car selon lui il n'existe que deux sacrements : la baptême et la cène. La conséquence est qu'il rejette aussi toute cérémonie concernant la mort, ce pour deux raisons :
  • le Christ ne s'adresse qu'aux vivants
  • les morts étant avec Dieu, il n'y a plus lieu de s'intéresser à eux
En conséquence, la dépouille mortuaire n'a aucune importance et peut être inhumée n'importe où ! Et cela tombe bien car l'église catholique considère que les huguenots (et plus tard les membres de la Religion Prétendument Réformée) ne peut être ensevelis en terre consacrée, donc dans les cimetières ...

Passant outre les notions (actuelles) de deuil, les Réformés avec Calvin et ses successeurs interdisent toute prière ou prédication pendant les enterrements. A peine une prière est-elle tolérée au retour du cimetière !

Mais le temps passe, l'Edit de Tolérance de 1787, la Révolution Française, l'Empire et les prémices de la Révolution Industrielle ont fait évoluer les moeurs. Dès la fin du XIXème siècle, les pasteurs peuvent présider les cultes de service funèbre au temple. Et on "triche" sur le dogme luthérien en autorisant dans la liturgie une "remise du défunt à Dieu".
Les familles et amis peuvent aussi témoigner pendant la cérémonie, chose qui eût été impensable à l'époque de Calvin.

Mais aujourd'hui encore, dans certains temples réformés du Languedoc et des Cévennes, les corps ne sont pas admis pendant la cérémonie.

 

2) Les conséquences pratiques de "l'exception" protestante

Entre le début de la Réforme et la seconde moitié du XVIème siècle, la position des protestants se dégrade en France puisqu'il est interdit à un protestant de se faire inhumer dans les cimetières ni dans les terrains voisins.
En 1562, l'Edit d'Amboise impose un enterrement de nuit et il faut attendre 1598 et l'Edit de Nantes promulgué par Henri IV (protestant lui-même par sa mère avant sa conversion au catholicisme lors de son avènement - "Paris vaut bien une messe !") pour que les protestants aient le droit de disposer de leurs propres cimetières et qu'ils aient le droit d'y enterrer leurs morts de jour.

C'est de cette époque que sont nés les "cimetières protestants" que l'on trouve encore de nos jours dans les régions ayant jadis abrités des populations protestantes importantes (Ardèche, Drôme, Cévennes, etc.) et qui peuvent nous donner un aperçu des patronymes huguenots.

Nouveau rebondissement en 1685, un arrêt du Conseil d'Etat interdit aux réformés de disposer de cimetières dans les lieux où les cultes ne sont plus exercés, ce qui, de fait, les prive de nombreux lieux de sépulture.  pour leurs morts.

C'est à cette période que se développe donc cette habitude d'enterrer ses morts chez soi. En ville, ce sont les caves ou les jardins qui servent de lieu de sépulture, tandis qu'à la campagne, ce sont des parcelles qui sont destinées à cet usage.

Aujourd'hui encore, il existe de nombreux lieux qui constituent autant de cimetières privés, ce qui n'est pas sans causer quelques problèmes.

En 1736, Louis XV institue une procédure judiciaire permettant l'inhumation des Réformés.  Les prêtres et curés perdent donc la main au profit du Roi.

En 1776, Louis XVI impose le transfert des cimetière hors des agglomérations et le même Louis XVI, par son édit de Tolérance de 1787 autorise l'inhumation des défunts protestants (et juifs également) dans des cimetières. Ces derniers devant être fournis par les municipalités.

Pour terminer, le décret-loi du 23 prairial an XII ne permet les inhumations en terrain privé (indépendamment de la religion) que sur autorisation du Maire (actuellement du Préfet), et à condition que le lieu se situe hors de l'enceinte des villes et bourgs et à une certaine distance de ces derniers.

 

3) Et aujourd'hui ?

Aujourd'hui, la France est un pays laïc qui offre donc à ses citoyens, indépendamment de leur religion, la possibilité de bénéficier de l'usage des cimetières municipaux.

Cependant, le droit est ainsi fait que les cimetière privés existants ne peuvent être considérés comme un terrain "normal" car une sépulture privée est considérée comme perpétuelle, inaliénable et incessible.

En conséquence, si vous achetez une propriété sur laquelle se trouve une tombe, vous devez :
  • conserver un droit de passage pour les héritiers
  • savoir que ce droit est non prescriptible
  • maintenir en l'état la sépulture car si elle est déplacée ou si l'on considère qu'elle a fait l'objet d'un acte, même non intentionnel ayant pour effet de violer le respect des morts, cela est considéré en droit comme un délit de violation de sépulture !

Par ailleurs, la procédure de reprise de concession funéraire en état d’abandon ne pouvant être mise en œuvre que dans un cimetière public, elle ne s'applique pas à un cimetière privé ... Toutefois, le Maire peut faire exécuter une procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique.


Comme on le voit, les pratiques ont bien évoluées, mais il reste encore aujourd'hui de nombreux témoignages de ces époques troubles, mais qui peuvent être un complément très utile à une recherche généalogique. Un de ces "chemins de traverse" qu'il est bon de connaître.

Si vous avez des témoignages ou des commentaires à faire sur ce sujet, n'hésitez pas !


Pour aller plus loin :

           


Un grand merci aux participants du forum "Généalogie Protestante" de Geneanet.org pour leur contribution à ce sujet passionnant !

7 commentaires:

  1. Merci pour ces précisions.

    Dans le dernier numéro de ma revue j'ai justement retranscrit un document à ce sujet provenant des registres paroissiaux (catholiques) de Marquette lez Lille (Nord) :

    Soit pour memoire que le 24 juillet 1712 Phle Pierre BRABANT gros fermier dans la paroisse en la cense de Becquerel est décédé dans la religion prétendue reformé, lequel a sollicitez aupres des officiers de leur SS.PP. pour avoir un cimetierre pour les Reformés de laditte paroisse quoy qu'il ni ait que deux familles reformez dans la paroisse, scavoir la sienne et celle de Jan CLAYS, fermier de Mr d'HOLLEBECQ au chateau des Wazière. Ledit BRABANT fut inhumez le 1er dans ledit cimetierre mais sa feme cy dessus apres la morte de son mary s'est converti a la foy catholique quoy qu'aiant professez la reformez environ 3 ans par complaisance pour son mary.

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  2. 1712, 3 ans avant la mort de Louis XIV, donc une période très compliquée pour les Huguenots. Surtout dans cette région du Royaume, intégrée depuis peu et si proche de la Hollande beaucoup plus tolérante ...

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  3. Sur Puyvert dans le Luberon (84), le 26 septembre dernier, six cyprès multicentenaires entourant une tombe protestante ont été abattus méthodiquement par le propriétaire du terrain où se trouvait cette tombe. Or le contrat de vente du terrain spécifie clairement la présence de cette tombe (qui figure d'ailleurs au cadastre) et l'obligation qui est faite au propriétaire de respecter la sépulture édifiée sur le terrain".
    La communauté protestante est en émoi. Le Maire de la commune a été alerté et répond qu'il n'y a pas lieu de s'en choquer ni d'y voir une violation de sépulture, du fait que seuls les arbres ont été touchés. Qu'en pensez-vous ?

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  4. Bonjour,

    Difficile de juger sans connaître le dossier. Mais, mon avis sur la question est le suivant : si on considère que les cyprès font partie de la sépulture (les protestants ayant tendance à border leurs propriétés avec les arbres), alors techniquement, il y a profanation de sépulture.
    Ensuite, quelle est l'intention du propriétaire actuel ? Y a-t-il une volonté délibérée de nuire ?
    Garde-t-il un accès à la sépulture ?

    Désolé, mais beaucoup de questions ...

    Après, on est dans le symbole. Calvin considérait que les morts étaient à Dieu. Aussi, il ne faut pas s'attacher à une quelconque sépulture. L'intérêt qu'elle peut avoir est historique et symbolique. Historique car elle est partie d'un patrimoine. Symbolique si le fait de couper ces cyprès est fait dans une intention de nuire. Mais cela on ne le sait pas ...

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    1. Merci Olivier pour cette réponse.
      Le problème est que, effectivement, l'intention de nuire n'est plus à démontrer car un voisin, alerté par le bruit de la tronçonneuse, a aussitôt prévenu le propriétaire du terrain avec la tombe, qu'il lui a rappelé qu'il s'agissait d'une tombe et qu'il lui a rappelé ses obligations (cf. le contrat de vente du terrain mentionnant cette tombe et l'obligation « respecter la sépulture édifiée sur ce terrain ». Le propriétaire du terrain a continué de plus belle en s'en prenant au voisin.

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  6. Bonjour! C'est par hasard que je suis "tombé" sur votre blog. Pourquoi? Je m'intéresse d'une part à la flore en Suisse et d'autre part à l'histoire des Huguenots (je connais plusieurs descendants de réfugiés huguenots en Suisse suite à la révocation de l'édit de Nantes par par Louis XIV en octobre 1685. Récemment quelqu'un m'a dit que les Huguenots auraient eu l'habitude - suite aux interdictions par l'église catholique et le gouvernement - d'inhumer leurs morts sur des sites privés tout en plantant un cyprès. En Suisse romande - ou se sont réfugiés à l'époque beaucoup d'Huguenots, existent plusieurs cimetières où on trouve à l'entrée un ou plusieurs cyprès.
    J'essaie de trouver la raison de cette présence de cyprès. Est-ce que la présence de cyprès sur des lieux d'inhumation protestants était un fait général en France ou non? Dans mon village genevois, qui est catholique, il y a également un cyprès à l'entrée. L'histoire de notre village est un peu compliqué (Duchée de Savoie, Royaume Piémont-Sardaigne, France...). Depuis le traité de Turin, la commune savoyarde d'Ambilly a été partagée, les hameaux de Puplinge et Presinge sont devenus suisses...
    Ma question : existent des références sûres quant aux cyprès en relation d'inhumation de protestants (ou de catholiques, vu que notre village est catholique ?). Merci de votre réponse à : edmond.reusser@bluewin.ch ou sused.reusser@gmail.com Edmond Reusser

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