lundi 24 septembre 2012

Les filles mères : une vie difficile


De nos jours, une jeune fille qui donne naissance à un enfant sans que le père ne se déclare reste malgré tout quelque chose d'assez marginal.

Ces jeunes filles disposent par ailleurs de structures d'accueil et ont a leur disposition tout un arsenal de services qui peuvent leur venir en aide. De plus, même si elles sont considérées par la majorité des gens comme de "malheureuses" filles, elles ne sont pas pour autant mises au ban de la société.

Mais, et les historiens le savent bien, cela n'a pas toujours été le cas.


Jusqu'à il y a peu, les jeunes filles tombant enceinte sans être mariées, et a fortiori, sans avoir de père connu pour leur enfant étaient extrêmement mal considérées, tantôt traitées comme une fille facile, voire une prostituée, tantôt complètement rejetée. Il n'y a qu'à relire les Misérables de Victor Hugo pour s'en convaincre. Et les années 1850 ne sont pas loin ...

J'ai retrouvé la trace d'une de ces filles mères dans mon histoire personnelle. Elle se nommait Julie Faugeron et avait grandi dans les confins de l'Ardèche à Lamastre. Elle est née en 1842 et ses parents, Jacques Faugeron et Marie Comboroule l'ont élevée comme une petite fille de la campagne.

Mais voilà, les parents étaient de pauvres agriculteurs et l'Ardèche est connue pour ses été secs et ses hivers rigoureux. Aussi, bien que Julie soit la plus grande des filles, il lui faut partir rapidement de la maison pour trouver un travail.

Or, la ville qui attire beaucoup de jeunes hommes et de jeunes filles de cette région, c'est Saint-Etienne. Bien que très industrialisée et pas forcément très belle, cette ville offre un travail à qui le veut car l'industrie de la rubannerie, de la passementerie et les métiers de la métallerie et de la facture d'armes sont en plein essor.

On ne sait pas bien comment Julie arrive là-bas ni si elle a retrouvé des amies de sa ville natale, même si c'est très probable. Elle a en effet un oncle Régis Bouchardon qui exerce à Saint-Etienne le métier de forgeur. Toujours est-il qu'elle trouve un emploi de domestique dans une des demeures bourgeoises de la ville.

Tout se passe bien jusqu'en septembre 1869.


La fin du Second Empire est proche, mais elle ne le sait pas encore. En revanche, grâce à son beau visage, elle attire les garçons de son âge ou un peu plus âgés. A-t-elle renoncé à se marier ? On ne le saura jamais, toujours est-il qu'un soir de septembre 1869, c'est la rencontre d'un soir ou d'un après-midi qui va bouleverser sa vie. Peut-être le garçon lui a-t-il promis le mariage, tel l'amant de Fantine ?

Le grossesse se passe mal, entre la honte d'être une fille facile, les regards suspicieux de la populace ? Elle a peut-être songé à l'avortement, mais les risques étant énormes et ne disposant pas de l'argent nécessaire pour payer une "faiseuse d'anges", elle garde l'enfant.

Comment ses parents ont-ils vécu cette nouvelle. Impossible à savoir.

La seule chose que l'on sait c'est que le 7 juin 1870, soit à peine 3 mois avant la fin du Second Empire à Sedan, naît Marie Julie Faugeron. Pourquoi Marie Julie ? Probablement qu'elle a voulu accoler le prénom de sa mère au sien ?

L'acte de naissance nous dit que Marie Julie est née rue Neuve, chez la sage-femme. Julie n'a donc pas accouché chez elle ... Et aucun témoin n'est de sa famille puisqu'on a Pierre Gabert, 51 ans, employé et Pierre Rouchon, 32 ans, maçon. Peut-être ce dernier est-il le père qui n'a pas voulu ou osé assumer son geste ?

Un signe qui laisse supposer une vie moins difficile que la plupart des filles mères de l'époque, est qu'elle habite avec son père au 8, rue Polignais, dans les quartiers ouest de Saint-Etienne. Soit sa famille lui a pardonné cette grossesse illégitime, soit elle l'a aidé à surmonter cette épreuve ? Impossible à savoir.
Mais pour payer sa part du loyer et ce qu'il faut pour Marie Julie, Julie travaille dur.


Peut-être l'épuisement, peut-être une maladie ont raison de Julie Faugeron le 18 mai 1871. Marie Julie sa fille n'a pas encore un an que sa mère est morte.

L'acte de décès de Julie donne une information importante :
L’an mil huit cent soixante et onze, le dix neuf mai à onze heures du matin, par devant nous, Adjoint et Officier délégué de l’Etat-civil de la ville de Saint-Etienne (Loire), sont comparus Jacques Fogeron, âgé de cinquante trois ans, journalier, rue Polignais 8 et Régis Bouchardon, âgé de cinquante huit ans, forgeur, rue Roannelle 33.
Lesquels nous ont déclaré que Julie Fogeron, âgée de vingt huit ans, domestique, rue Polignais 8, née à Lamastre (Ardèche), célibataire, fille du premier déclarant et de Marie Comboroule, est décédée dans son domicile hier à dix heures du soir.
Le décès constaté, les déclarants ont signé avec nous après lecture.

        FOGERONT        BOUCHARDON
Son père était présent ainsi que son oncle.

Peut-être l'ont-ils accompagné dans ses derniers instants ?

J'ai voulu par ces quelques mots rendre hommage à cette pauvre Julie Faugeron,qui était mon arrière-arrière-grand-mère paternelle et à travers elle, à toutes ces jeunes femmes qui, ayant succombé aux charmes de jeunes gens entreprenants se sont rendues coupables du crime de la grossesse illégitime !


Et vous, avez-vous pu rencontrer des destins similaires dans vos généalogies ?


Pour aller plus loin : 



           

3 commentaires:

  1. Bonjour, je viens de découvrir dans ma famille maternelle, une histoire semblable à la vôtre. Mon arrière grand-mère, ovaliste à Lyon en 1882 a mis au monde un enfant naturel (mon grand-père maternel), a ensuite épousé un homme qui a reconnu son enfant. Elle est décédée 15 jours après son mariage. Cette histoire me touche, ce qui me donne envie d'écrire ....

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  2. Bonjour,
    Dans ma lignée maternelle, mon arrière-grand mère a mit au monde une enfant naturelle au début du 20è ; enfant naturelle qui a reproduit le même schéma en mettant au monde 2 enfants naturels dans les années 20... Puis elle a pu se "caser" avec mon grand-père qui a reconnu les 2 "bâtards". Dans les 2 cas, a été transmis une honte sociale et une faute à réparer. Ma mère a dû se conformer à une modélisation des années 60 (se marier et avoir des enfants). En tant que femme, 4ème génération, j'ai du réparer et payer très chère cette dette!!! (ni mariée ni enfant). Il a été impossible au niveau familial d'aborder cette problématique transformée en secret de famille. Encore aujourd'hui, pardonner à ces "femmes dites faciles" m'est difficile...
    D'un côté, les faits sociaux stigmatisant les mœurs au féminin, de l'autre la transmission inconsciente de faute à payer

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    1. Votre analyse me touche particulièrement
      Je n'ai jamais été mariée
      Je n'ai jamais mis d'enfant au monde
      Mon père était un enfant naturel né en 1909 non reconnu par son père
      Des recherches généalogiques récentes m'ont appris que le père de ce père "inconnu " était lui même né en 1843 ou 1853 recherche en cours de père inconnu
      Deux filles mères dans mes ancêtre en moins de 100 ans
      Est ce que je paye ?

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