dimanche 16 septembre 2012

Mais qui était Pierre Joseph Leclerc ?


La lecture récente de l'article de Benoît Petit dans son blog intitulé "Le Mystère Catherine Monet" m'a interpellé car moi aussi, j'ai dans ma généalogie un ancêtre nommé Pierre Joseph Leclerc qui est une véritable énigme.

Alors, remontons le temps pour nous retrouver en l'an VII de la République, le 29 nivôse, à Saint-Etienne dans la Loire.


Des débuts prometteurs

En ce jour d'hiver, naît une petite fille que ses parents nomment Jeanne. La transcription de l'acte de naissance qui se trouve aux Archives Départementales de la Loire sous la côte 3E 219 68 est la suivante :


Aujourd’huy vingt neuf nivôse an sept de la République
Par devant moi Jean Baptiste Serre, Président et Officier Public de la commune de Saint Etienne, est comparu Pierre Joseph Leclerc, cardeur de laine, demeurant rue Mi-Carême, accompagné de Jacques Desfond, teinturier en sergé, demeurant rue des Gand et Jeanne Daveze, épouse de ce dernier, témoins majeurs.
Lequel m’a déclaré que Marie Desfond son épouse est accouchée dans son domicile ce jourd’huy d’une fille qu’il m’a présenté et à laquelle il a donné le prénom de Jeanne Leclerc, ce que j’ai reconnu et dressé le présent acte que j’ai signé avec ledit Jacques Desfond, non le père ni l’autre témoin qui ont déclaré ne le savoir faire, de ce enquis.

            JACQUES DESFOND


Nous sommes presque 6 ans jour pour jour après la mort de Louis XVI, la Terreur est terminée, et un semblant d'ordre commence à régner en France. Dans quelques mois, le Consulat sera en place et l'irrésistible ascension de Napoléon Bonaparte commencera.

Donc, Jeanne Leclerc naît de l'union de Pierre Joseph Leclerc et de Marie Desfond, demeurant tous les deux à proximité du centre ville de Saint-Etienne, rue Mi Carême.



D'autres recherches faites ultérieurement nous montrent que les témoins sont les parents de Marie Desfond, à savoir Jacques Desfond, teinturier en sergé et Jeanne Daveze

Déjà, le premier point intéressant est que seuls sont présents à cette naissance des membres de la famille de l'accouchée. Par ailleurs, sans tomber dans l'analyse trop rapide, le patronyme de Pierre Joseph Leclerc, ne fait pas couleur locale. Pour avoir vécu dans le Nord, je me souviens en avoir fréquenté beaucoup dans la région.

Mais, disposant de cet acte de naissance assez complet, je remonte au mariage des parents.

Les choses se compliquent ...

Il ne faut pas longtemps pour le trouver, puisqu'il a eu lieu exactement 11 mois avant la naissance de Jeanne, le 1er ventôse an VI de la République :


Aujourd’hui premier ventôse l’an six par devant Jean Baptiste Serre, administrateur municipal et officier public du canton de St Etienne, sont comparus pour contracter mariage Pierre Joseph Leclerc, cardeur, demeurant rue Mi Carême, âgé de trente un ans, fils légitime de défunts Pierre Joseph Leclerc et de Victoire Comédé demeurant de fait et droit en la commune de Beauvais, département de l’Oise d’une part et Jeanne Marie Desfond, dévideuse, demeurant rue des Gaux, âgée de vingt deux ans, fille légitime de Jacques Desfonds, teinturier et de Jeanne Daveze d’autre part.
Accompagnés de Joseph Merley, marchand, de Jean Baptiste Soupet, armurier, de Jacques Desfonds, père de la future et de Jean Antoine Fontvieille, témoins majeurs … en cette commune.
Et après avoir fait lecture en présence des parties et des témoins de l’acte de publication de promesse de mariage entre les parties par moi faite le vingt cinq du présent à l’heure de midi au devant de la porte extérieure de cette maison commune dont extrait y a été affiché pendant trois jours, et n’y ayant eu aucun empêchement civil, les parties ayant déclaré à haute voix savoir ledit Pierre Joseph Leclerc vouloir prendre en mariage Jeanne Marie Desfonds et cette dernière ledit Leclerc, j’ai, officier public susdit et soussigné, prononcé an nom de la loi que les parties sont unies en mariage dont j’ai dressé le présent acte que j’ai signé avec les témoins, non les époux qui ont dit ne le savoir faire, enquis.
                                                                                                          JACQUES DESFOND
            JOSEPH MERLEY               J A SOUPET              FONVIEILLE

Pierre Joseph habite bien à Saint-Etienne, rue Mi Carême, maison où sa femme et lui iront habiter plus tard, mais ses parents ne sont pas là, et pour cause : son père aussi nommé Pierre Joseph Leclerc et sa mère Victoire Comédé, sont tous deux décédès, et il est dit demeurant de fait et de droit à Beauvais, dans l'Oise, ville où il est né 31 ans plus tôt, c'est-à-dire aux alentours de 1767 !

Donc, mon intuition sur l'origine du patronyme était bonne, mais cela n'explique pas pourquoi il est à Saint-Etienne ?

En revanche, on peut imaginer, sans toutefois en avoir de preuve, que lui étant cardeur, et elle dévideuse, ils ont dû se rencontrer au travail (déjà à l'époque, le lieu de travail était source de rencontres ...) et se plaire ...
En effet, il n'est pas Stéphanois de naissance, et elle est issue d'une dynastie de forgeurs de fiches de Saint Etienne par sa mère et de laboureurs de la Haute-Loire voisine par son père.

Essayons donc de fouiller du côté des parents de Pierre Joseph pour trouver une piste ?

Le mystère s'épaissit !

Petit tour au AD de Beauvais donc, aux Registres de l'Etat-civil pour trouver une trace des parents de Pierre Joseph.
Premier indice sur les AD numérisées de la commune de Beauvais sous la référence 5MI 152, donnant les registres d'état-civil des ans II et III de la République, en pleine Révolution :

Le douze ventôse de la troisième année républicaine, deux heures de relevées, Claude Louis François Lescuyer, âgé de soixante ans, administrateur provisoire de l’Hospice du Malheur, de cette commune, y demeurant, rue du Républicain, section de l’Occident, a déclaré à nous officier public soussigné, que Pierre Joseph Leclercq, peintre, âgé de soixante quinze ans, entré audit hospice le vingt deux janvier mil sept cent quatre vingt dix, y est décédé le jour d’hier, à quatre heures de relevées, pour quoi nous nous y sommes transporté, et après nous être assuré de la réalité du décès, nous en avons dressé le présent acte que le déclarant a signé avec nous.

Acte très intéressant à deux titres :

  • à titre purement historique, on trouve ici une trace du "délire" révolutionnaire qui dans sa volonté de tout effacer de l'Ancien Régime, renommait quasi systématiquement tout ce qui pouvait s'y rapporter. Ainsi, l'hospice de Beauvais était-il rebaptisé l'Hospice du Malheur et une rue est devenue "Rue du Républicain" ...
  • à titre purement généalogique, on a la preuve du décès du père de Pierre Joseph, qui se prénomme aussi Pierre Joseph, qui était peintre, et qui a passé 5 années dans l'Hospice du "Malheur". Mais pourquoi ? 
Etait-il indigent à ce point ? Si c'était le cas, où était son épouse pendant ce temps ?
Etait-il malade ? Si oui, de quoi souffrait-il ? Par ailleurs, être "malade" pendant 5 années à cette époque semble long ?

Bref, beaucoup plus de questions que de réponses ...

Cherchons donc du côté de la mère.

C'est au même endroit que l'on retrouve la trace du décès de Victoire Comédé, à savoir l'Hospice du Malheur de Beauvais :

Le quatre messidor de la quatrième année républicaine à neuf heures du matin, Joseph Beyne, âgé de soixante trois ans, administrateur de l’Hospice du Malheur, domicilié à Beauvais, rue Lepelletier, section du Nord, a déclaré à moi Noël Lozière, officier de l’Etat-civil de cette commune que Victoire Comédé, âgée de soixante quatre ans, veuve de Pierre Joseph Leclerc, est décédée ce jourd’hui à six heures du matin audit Hospice du Malheur.
Après avoir constaté le décès, j’ai dressé le présent acte que le susdit déclarant a signé avec moi.

En fait, elle a suivi son mari dans la tombe puisqu'elle est décédée un peu plus d'un an après lui,et a priori dans les mêmes conditions de dénuement ...

Une ébauche de solution ?

A partir de ces quelques éléments, on peut imaginer une histoire :

Pierre Joseph Leclerc père est un petit artisan de Beauvais. Lui et son épouse vivent chichement et un de leur fils (je n'ai pas trouvé d'autres enfants pour l'instant, c'est donc une supposition), qui se prénomme Pierre Joseph comme son père, ce qui laisse à penser qu'il est le fils aîné (?) travaille peut-être avec son père, ou dans des ateliers de tissage (dans le Beauvaisis, d'où est issue par un heureux hasard une autre branche de ma famille, il y a beaucoup de métiers autour du lin).

La Révolution Française arrive avec son chaos et sa crise. Que se passe-t-il alors ? Le père tombe malade et est interné à l'Hospice. Il a alors presque 70 ans, ce qui est un âge vénérable pour l'époque. Mais il n'y a plus de ressources dans la famille, alors Pierre Joseph part.

Peut-être a-t-il entendu parlé de la région de Saint-Etienne par un marchand ou un voyageur car dans cette ville commence à se développer une économie autour de la passementerie. Et puis, Saint-Etienne est plus éloignée de Paris que Beauvais, et donc peut-être moins dangereuse ...

Il quitte donc ses parents qu'il ne reverra plus et trouvera l'âme soeur à Saint-Etienne.

Mais que de questions, que d'hypothèses ?

Si vous avez des informations ou des idées qui pourraient permettre d'élucider ce mystère, je suis preneur !

Quelques documents pour aller plus loin :


           

2 commentaires:

  1. Pour etre tout a fait precis c est surtout autour de la rubanerie que la ville de Saint Etienne se developpe a cette epoque. Il n est pas impossible qu il s y soit rendu pour des raisons economiques vu que la ville etait tres prospere a cette epoque. De plus, a la meme epoque, Beauvais a connu une sorte de declin economique. Donc l hypothese de la migration pour raisons economiques est la plus probable a mon sens. Quant au pere qui est resté 5 ans a l hospice, etant trop vieux pour suivre son fils, il a peut etre reussi via des relations a se faire passer pour malade pour etre pris en charge pour la fin de sa vie car il est vrai que rester malade pendant 5 ans etait assez rare. Mais tout cela reste des hypotheses...

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  2. Merci pour la précision.

    J'ai pas mal d'ancêtre de Haute-Loire qui ont émigré vers Saint-Etienne vers la fin du XIXème siècle et qui sont devenus passementiers, d'où ma confusion.

    J'aime assez l'idée de la migration économique. Ce qui m'étonne toujours c'est cette capacité qu'avaient nos ancêtres à aller vers une sorte d'inconnu. Car même s'il avait des informations sur St Etienne, c'était très loin et il n'avait ni Wikipedia, ni Google ...

    Quant à son père, il faut que je retrouve plus d'informations sur lui car 5 ans en hospice ...

    Merci pour les hypothèses en tout cas !

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