mardi 5 août 2014

Mourir à 15 ans


Le dimanche 11 janvier 1604, jour de la Sainte Pauline, le jeune procureur Antoine Choron, âgé de presque 25 ans, épouse solennellement la jeune Marguerite Baudequin. Cette union est célébrée par le vénérable et discret messire Delamare, prêtre curé de la paroisse de Béthisy-Saint-Pierre dans le diocèse de Soissons.

Du fait du rang du marié, tous les notables du bourg sont là et parmi eux l’honorable homme Marc Geoffroy et la non moins honorable Michelle Leroy. Ces proches des mariés vont sous peu être liés à un drame dont évidemment personne n’a encore connaissance en ce jour de fête.

Moulin Joli sur l'Automne à Béthisy - Crédit Gérard Laurent


Les années passent et le dimanche 6 avril 1608, jour de Pâques, Marguerite Baudequin met au monde une petite fille qui est alors nommée Michelle par son parrain et sa marraine, l’honorable homme Marc Geoffroy et Michelle Leroy, le lendemain lundi 7 avril, le jour de son baptême.

La petite fille se porte à merveille et tout porte à croire qu’elle passera le cap difficile des premiers jours, des premières semaines et des premiers mois de vie. Certes, les Choron sont une famille aisée et l’enfant ne manque de rien, mais tout le monde sait en ce temps que même le Roi Henri le quatrième et les Princes du royaume peuvent perdre des enfants à cause de la contagion comme on dit ou d’une simple infection.

La petite fille grandit et peut-être est-ce la fréquentation de ses cousins ou tout simplement la proximité des bois et de la vallée de l’Automne, toujours est-il qu’elle adore courir dans la nature au point que parfois sa mère s’inquiète de ne la voir rentrer que la nuit tombante.

Arrive le temps où la petite fille devient femme et cette jeune fille commence à plaire autour d’elle. Ce ne sont que compliments sur ses longs cheveux noirs et ton teint légèrement hâlé, même si à cette époque le teint pâle sied davantage aux femmes. Mais la petite Michelle a du caractère et se moque des canons de la beauté de Paris. De plus, elle ne supporte pas l’idée de rester enfermée dans sa chambre à coudre ou à prier comme une personne de son sexe est censée le faire.
Non, elle est plus à l’aise dehors à jouer avec ses amies et amis, même si à 15 ans, il n’est plus très convenable qu’une jeune fille, a fortiori la fille du procureur de la châtellenie, joue avec des garçons de son âge.

Pourtant en cette fin d’année 1623, alors que le froid commence à geler l’Automne et les eaux des nombreux moulins à chanvre et à blé de la région, notre Michelle a décidé de sortir se promener près du moulin de Béthisy. Elle veut cueillir du gui pour en préparer une gerbe car Noël est dans quatre jours et des fois que le jeune Pierre Carrier viendrait à passer, elle pourrait lui voler un baiser sous cette boule. Comme il est beau mais un peu empoté, Michelle a décidé de forcer un peu sa chance …

Alors qu’elle a ramassé suffisamment de gui pour elle et son amie Jehanne, elle s’approche du moulin dont la grande roue tourne lentement dans le froid. Elle entend la glace de l’eau gelée du bief craquer et se rapproche dangereusement de l’engin. Mais elle en a vu d’autre et se souvient que plus petite elle s’amusait à agripper la roue pour monter et redescendre ensuite quelques mètres plus bas.

Seulement cette fois-ci, c’est différent. Le châle qu’elle porte que les épaules pour la protéger du froid flotte au vent et alors qu’elle est presque au contact du moyeu central, il est pris dans une pièce de fer qui entoure l’arbre, l’attirant instantanément dans le cœur de la machinerie. Avant que sa tête ne heurte violemment une des aubes, elle a le temps d’appeler à l’aide. Le meunier sort en courant du moulin, mais il est trop tard, le corps de Michelle est enroulé autour de l’arbre et la pauvre jeune fille est morte, étranglée par son châle et le cou brisé par le mouvement de la roue.

Encore quelques tours et le meunier a le temps d’arrêter la course infernale de la roue tandis son aide est parti au bourg prévenir le chirurgien et les parents de la jeune fille.

Lorsque le chirurgien arrive il ne peut que constater que Michelle est morte. Plus tard, lorsqu’il décrira à messire Delamare le curé de la paroisse les circonstances de la mort de jeune fille, il expliquera que selon lui, elle a été prise par les chevilles de fer qui sont dans l’arbre près du tourillon. Que ce faisant, son corps a fait trois tours complets en étant entortillé autour de l’arbre. La conséquence est que sa face, son col et sa tête ont été complètement rompus et brisés et qu’il a fallu découper ses cheveux et ses habits pour pouvoir l’en sortir …

Ce qu’il n’a pas dit c’est que dans sa main elle tenait encore quelques brins de gui …

Le lendemain, elle fut mise en sépulture en l’église paroissiale près de la chapelle de Saint-Michel. A côté de son corps, sa marraine Michelle Leroy a tenu à déposer les quelques brins de gui qui avaient été retrouvés dans sa main car peu de temps avant, elle avait reçu de sa filleule la confidence du tendre amour qu’elle portait pour le jeune homme qu’elle aurait normalement dû épouser dans quelques années.

Aux obsèques, les parents de la jeune fille étaient là, anéantis par la douleur. Jamais ils n’auraient imaginé que leur fille tant aimée allait être enterrée là où ils s’étaient mariés il n’y avait même pas 20 ans …


Epilogue

Michelle Choron est décédée dans ces circonstances terribles le 20 décembre 1623 alors qu’elle n’était âgée que de 15 ans et neuf mois comme le précise son acte de sépulture.
Elle est probablement de ma famille car non seulement je compte de nombreux Choron et Baudequin parmi mes ancêtres, mais la situation sociale de ses parents est compatible avec le niveau de notabilité de mes ancêtres dans cette paroisse à cette époque.

J’ai imaginé l’histoire du gui pour trouver une raison qui aurait amenée cette jeune fille près du moulin où elle a eu cet accident. Je n’ai évidemment aucune preuve de tout cela, mais ce détail est plausible.

Le père de Michelle Choron, maître Antoine Choron, décèdera le 24 septembre 1650 à l’âge de 70 ans. Il sera également inhumé dans l’église de Béthisy-Saint-Pierre à proximité de la chapelle dédiée à Saint-Michel, à côté de sa fille …


Si cette histoire vous a plus, n’hésitez pas à la partager.

4 commentaires:

  1. Réponses
    1. Merci
      Cette histoire est hélas vraie même si je l'ai un peu romancée ...

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  2. Très bien écrit comme toujours. Même si les faits sont violents, il est bien d'avoir des prêtres qui relatent les faits divers avec une précision extrême.

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    1. En fait je crois que c'est lié au fait que le prêtre devait justifier la raison pour laquelle il n'avait pas pu donner les sacrements.
      Cela dit ce prêtre est spécialement loquace !

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