Dans l’histoire les femmes ont souvent joué un rôle important. Mères et épouses de Rois ou de Princes, elles ont parfois influencé la façon de régner de leur fils ou de leur mari. Mais, au-delà de ce rôle qu’aucun historien sérieux ne conteste, il existe le rôle joué par ces centaines de milliers de femmes issues de la noblesse, de la bourgeoisie ou tout simplement du simple peuple.
Outre qu’elles sont les femmes et les mères de nos ancêtres
elles ont souvent joué un rôle charnière dans la transmission sinon de biens,
au moins de valeurs, de culture ou de notabilité.
Il y a un travail passionnant à réaliser dans sa généalogie qui
est de lire une ascendance dans les deux sens et de regarder à chaque fois
comment les femmes se positionnent à chaque moment clef de la branche, là où
des nœuds de notre arbre ont fait prendre à la famille une nouvelle direction.
Selon le sens dans lequel on regarde ces changements, on découvre un rôle
souvent méconnu des femmes et pourtant tout à fait crucial.
Comme un long discours peut être fastidieux et un peu
abscons, je l’ai illustré par deux exemples concrets pris dans mon arbre.
Premier exemple, la descendance de Denis Carrier
Denis Carrier, mort le 23 août 1607 à Béthisy-Saint-Pierre dans l’Oise occupait la
fonction de Procureur du Roi à Béthisy et Verberie. Cette châtellenie était
assez importante par sa proximité avec des hauts lieux de la monarchie
valoisienne : Villers-Cotterêts, Soissons ou encore Senlis. On peut donc
légitimement estimer que le sieur Denis Carrier était une personne respectable
et respectée de sa paroisse.
Le lien qui me relie à Denis Carrier est une suite de
générations masculines entrecoupées de sauts féminins. Si je note les noms,
fonctions ou vacations et périodes de vie de ces personnages jusqu’à mon
arrière-grand-père paternel du côté de ma grand-mère paternelle, je découvre
une certaine logique qui a fait qu’en un peu plus de 300 ans, je suis passé d’un
notable important à un simple jardinier …
Denis Carrier
( ?-1607)
Procureur du Roi
│
Hierosme Carrier
(1577-1645)
Procureur du Roi
│
Bernard Carrier
(1604-1657)
Procureur
│
Jeanne Carrier
(1645-1710)
Epouse de Jean Patour
(1640-1708)
Marchand filassier puis huissier de
justice
│
Jean Patour
(1677-v1745)
Chanvrier-filassier
│
Madeleine Patour
(1709-1788)
Epouse de Jean Barbier
(1713-1789)
Maître maçon et entrepreneur en bâtiments
│
François Barbier
(1749-1828)
Maître maçon
│
François Barbier
(1775-1851)
Maçon
│
Jean Antoine Barbier
(1803-ap1876)
Maçon
│
Agathe Clémentine Barbier
(1846-ap1911)
Epouse Alexandre Louis Victor Ménerat
(1846-1911)
Journalier-Manœuvre
│
Alice Victorine Ménerat
(1868-1914)
Epouse Henri Debuire
(1862-1935)
Charretier-Jardinier
En lisant cette branche depuis
Denis Carrier, on découvre que la première rupture a eu lieu lorsque Jeanne Carrier
a épousé Jean Patour puisque le fils de ce couple a finalement suivi le métier
de son père, à savoir chanvrier, et même si son père était marchand filassier
ce qui était un métier plus enrichissant, le secteur d’activité était le même.
La seconde rupture intervient
lorsque Madeleine Patour épouse Jean Barbier, un maître maçon et entrepreneur
en bâtiment. On passe de ce que nous appellerions aujourd’hui le secteur
primaire au secteur secondaire. Secteur d’activité qui se poursuit pendant 4
générations et qui s’arrête lorsqu’Agathe Clémentine Barbier épouse un simple manœuvre
nommé Alexandre Louis Victor Ménerat. Retour au secteur primaire et au plus bas
de l’échelle.
De fait, mon arrière-grand-père
finit sa vie comme jardinier, c’est-à-dire comme domestique au château de Vez,
commune où il était né et qui se situe à quelques kilomètres de Béthisy-Saint-Pierre.
Vu dans ce sens, on a l’impression
qu’à chaque fois qu’une femme de la branche a épousé un « étranger »,
elle a choisi quelqu’un d’un niveau inférieur, faisant régresser socialement la
famille …
Mais si on lit la branche en
partant d’Henri Debuire, la lecture est toute autre puisqu’on a alors une
vision inverse : à chaque fois qu’un homme de la branche a épousé une
femme « étrangère », il a pu entrer dans une famille d’un niveau
social plus élevé.
En effet Alexandre Louis Victor Ménerat,
simple journalier est entré dans une dynastie de maîtres maçons en épousant Agathe
Clémentine Barbier. Jean Barbier est entré dans une famille de marchands en
épousant Madeleine Patour et le summum de la progression a été atteint par Jean
Patour qui est entré dans la très honorable famille des Carrier en épousant
Jeanne Carrier, descendante d’une famille de procureurs du Roi …
A chaque fois, les femmes jouent
donc un rôle clef, permettant aux épousés d’entrer dans une famille plus
prestigieuse que celle dont ils sont issus.
Second exemple, la descendance de René de Chalus
Je commence volontairement mon
exemple à René de Chalus pour deux raisons. La première est que si j’avais voulu
démarrer mon étude plus loin dans le temps, cela n’aurait pas eu un grand intérêt
dans la mesure où les alliances de cette famille noble avec d’autres familles
nobles ne montreraient rien de particulier. La seconde est que cela remonterait
trop loin dans le temps et ne permettrait pas de mettre en évidence le
phénomène que je tente de démontrer …
René de Chalus est né aux
alentours des années 1580 sans doute à la Baconnière, de l’union de Michel de
Chalus, écuyer, sieur de la Bénéhardière et de Marie Goddé. Il est décédé le 25
septembre 1627 à la Baconnière, dans la Mayenne. Il était titré écuyer et sieur
de la Poupardière.
Je descends de ce René de Chalus
par mon arrière-grand-mère maternelle du côté de ma grand-mère maternelle.
René de Chalus
(1580-1627)
Ecuyer, Sieur de la Poupardière
│
René de Chalus
(v1610-1652)
Ecuyer, Sieur de la Touche et Sieur de la
Poupardière
│
René de Chalus
(1630-1675)
Ecuyer, Sieur de la Poupardière
│
Pierre de Chalus
(1653-v1730)
Ecuyer, Sieur de la Motte
│
Jeanne de Chalus
(1703-ap1773)
Epouse Jean Tirouflet
(1694-1773)
Marchand tisserand
│
Jean Tirouflet
(1733-ap1787)
Marchand tisserand
│
Renée Jeanne Tirouflet
(1766-1819)
Epouse Pierre Jouet
(1763-1824)
Maître tisserand-Propriétaire
│
Prosper Jouet
(1801-1858)
Boulanger
│
Mathilde Ténestine Pauline Jouet
(1834-ap1896)
Epouse Jean Baptiste Trochon
(1829-ap1896)
Boulanger
│
Euphrasie Zoé Alexandrine Trochon
(1861-ap1896)
Epouse Eugène François Girault
(1845-ap1896)
Marchand de tissus
│
Marie Eugénie Mathilde Girault
(1894-1992)
Même si le phénomène est moins
marqué que dans le cas précédent, on note des similarités.
En regardant cette branche depuis
René de Chalus, on note qu’elle a quitté la noblesse pour rejoindre la
bourgeoisie par le mariage de Jeanne de Chalus avec Jean Tirouflet. Certes, ce
Jean Tirouflet possédait la terre de la Roderie et exerçait un métier sans
doute lucratif mais il n’était point noble …
Le mariage de Renée Jeanne
Tirouflet avec Pierre Jouet n’a semble-t-il pas eu d’impact sur le niveau
social de la branche mais on note une altération dudit niveau lorsque le fils
est devenu boulanger, même s’il faut imaginer qu’un boulanger est
essentiellement un commerçant vendant qui plus est une nourriture de base et
pouvant donc être considéré comme quelqu’un d’important dans une petite ville
de province.
En réalité la vraie cassure est
lorsque la branche est passée de la noblesse à la bourgeoisie par le mariage
cité plus haut. Ensuite, il n’y a pas vraiment eu de dégradation.
Si on regarde cette branche
depuis mon arrière-grand-mère, on constate qu’une fois de plus l’union d’un
ascendant avec une femme d’une autre famille lui a sans conteste apporté une
certaine notabilité. On imagine en effet sans problème la fierté des parents
Tirouflet lorsque leur fils a épousé Jeanne de Chalus, descendante directe d’une
famille noble du Maine dont certains ancêtres ont participé aux plus grandes
batailles du Royaume et à quelques croisades !
Le rôle des femmes
Il me semble intéressant de
considérer le rôle de femmes en généalogie ascendante. En effet, dans les
époques anciennes, la femme n’apportait ni titre ni fortune, sauf en cas de dot
importante. Mais elle pouvait apporter quelque chose de plus subtil : la
notabilité.
Bien entendu ce raisonnement n’est
pas toujours vrai, mais j’ai remarqué à plusieurs reprises que ce qui vu des
parents pouvait être considéré comme une mésalliance était en réalité un
tremplin de notabilité pour les enfants. Ces derniers pouvant en effet s’enorgueillir
d’origines notables (pour ne pas dire nobles dans certains cas) par le biais de
leur mère. Après tout, même si les parents pouvaient avoir une mauvaise opinion
de leur gendre, ils restaient quand même les grands-parents de leurs
petits-enfants, ne serait-ce que parce qu’ils étaient les enfants de leur fille
…
Les femmes ont donc un rôle
social majeur sous l’ancien régime, ce qu’une étude sociale de nos branches
ascendantes peut mettre en évidence. Par ailleurs, cette façon de regarder les
branches ascendantes permet de réaliser que même si telle fille de la famille,
parce qu’elle était la petite dernière et que toute sa fratrie avait été casée
de manière honorable, pouvait se permettre d’épouser le (presque) premier venu,
elle restait quand même la fille de, ce qui permet, lorsqu’on remonte dans le
temps, de se trouver des ancêtres ayant eu des fonctions importantes.
C’est ainsi que grâce aux femmes un
manouvrier du Second Empire peut descendre d’une lignée de Procureurs du Roi
dont les plus anciens officiaient sous Henri II … Ou que certains peuvent se
rattacher aux Capétiens alors qu’ils ne sont aujourd’hui que de simples
citoyens sans fortune ni titre …
Et vous, avez-vous aussi perçu ce
rôle des femmes dans votre histoire familiale ?
Bonjour,
RépondreSupprimerOui, j'ai parmi mes ancêtres un exemple, sur lequel je travail justement, et qui correspond à l'évolution sociale décrite dans votre article, que je me permet de citer dans la conclusion de mon post (http://chemindepapier.blogspot.com.au/2014/08/lenigmatique-ascendance-de-marguerite.html).
En cherchant à résoudre l'ascendance de l'une de mes aïeules, j'ai été confronté aux mêmes questions concernant la "déchéance" sociale de ses enfants et petits enfants, sachant qu'elle est apparemment d'extraction noble. Dans son cas aussi, la nature de son mariage semble avoir eut le même impact pour ses descendants, que dans l'exemple des Carrier que vous donnez plus haut.
Merci pour cet article.
André
Bonjour et merci pour ce commentaire et d'avoir cité mon article dans le vôtre !
SupprimerCe phénomène de déchéance sociale ou d'ascension (selon le sens où on regarde la généalogie) est effectivement assez étrange mais peut s'expliquer selon moi en partie par le range dans la fratrie qu'occupe la femme.
Si elle est l'aînée, la famille tâchera de la marier avec quelqu'un de son rang ou de sa situation. En revanche, si elle est la benjamine, les "deals" sont déjà faits et les successions arrangées. En conséquence la fille peut alors épouser quelqu'un de moindre condition, l'enjeu étant moindre. Mais ce n'est qu'une hypothèse qui devrait être étudiée de près !
Tout à fait intéressant et qui cadre parfaitement avec la situation de mon aïeule : elle semble bien être la benjamine.
SupprimerCe n'est qu'une hypothèse, mais elle fait sens : en effet, il ne faut perdre de vue qu'à cette époque rares étaient les mariages d'amour. Ce qui comptaient c'étaient les intérêts des familles, les époux n'en étant qu'un outil.
SupprimerMerci pour cette étude très intéressante et qui donne envie d'aller jeter un coup d'œil de plus près sur "nos" femmes... ;)
RépondreSupprimerIl est certain que ce genre d'étude est riche d'enseignement et montre, si cela était nécessaire, qu'au delà d'une situation sociale officielle inférieures, les femmes avaient en réalité un rôle fondamental dans les familles.
SupprimerCelles dont les noms sont restés en ont pris conscience ...