mardi 12 août 2014

Les femmes, personnages charnières de nos familles


Dans l’histoire les femmes ont souvent joué un rôle important. Mères et épouses de Rois ou de Princes, elles ont parfois influencé la façon de régner de leur fils ou de leur mari. Mais, au-delà de ce rôle qu’aucun historien sérieux ne conteste, il existe le rôle joué par ces centaines de milliers de femmes issues de la noblesse, de la bourgeoisie ou tout simplement du simple peuple.

Outre qu’elles sont les femmes et les mères de nos ancêtres elles ont souvent joué un rôle charnière dans la transmission sinon de biens, au moins de valeurs, de culture ou de notabilité.

Jan Steel - Le contrat de mariage


Il y a un travail passionnant à réaliser dans sa généalogie qui est de lire une ascendance dans les deux sens et de regarder à chaque fois comment les femmes se positionnent à chaque moment clef de la branche, là où des nœuds de notre arbre ont fait prendre à la famille une nouvelle direction. Selon le sens dans lequel on regarde ces changements, on découvre un rôle souvent méconnu des femmes et pourtant tout à fait crucial.

Comme un long discours peut être fastidieux et un peu abscons, je l’ai illustré par deux exemples concrets pris dans mon arbre.


Premier exemple, la descendance de Denis Carrier


Denis Carrier, mort le 23 août 1607 à  Béthisy-Saint-Pierre dans l’Oise occupait la fonction de Procureur du Roi à Béthisy et Verberie. Cette châtellenie était assez importante par sa proximité avec des hauts lieux de la monarchie valoisienne : Villers-Cotterêts, Soissons ou encore Senlis. On peut donc légitimement estimer que le sieur Denis Carrier était une personne respectable et respectée de sa paroisse.

Le lien qui me relie à Denis Carrier est une suite de générations masculines entrecoupées de sauts féminins. Si je note les noms, fonctions ou vacations et périodes de vie de ces personnages jusqu’à mon arrière-grand-père paternel du côté de ma grand-mère paternelle, je découvre une certaine logique qui a fait qu’en un peu plus de 300 ans, je suis passé d’un notable important à un simple jardinier …

Denis Carrier
( ?-1607)
Procureur du Roi
Hierosme Carrier
(1577-1645)
Procureur du Roi
Bernard Carrier
(1604-1657)
Procureur
Jeanne Carrier
(1645-1710)
Epouse de Jean Patour
(1640-1708)
Marchand filassier puis huissier de justice
Jean Patour
(1677-v1745)
Chanvrier-filassier
Madeleine Patour
(1709-1788)
Epouse de Jean Barbier
(1713-1789)
Maître maçon et entrepreneur en bâtiments
François Barbier
(1749-1828)
Maître maçon
François Barbier
(1775-1851)
Maçon
Jean Antoine Barbier
(1803-ap1876)
Maçon
Agathe Clémentine Barbier
(1846-ap1911)
Epouse Alexandre Louis Victor Ménerat
(1846-1911)
Journalier-Manœuvre
Alice Victorine Ménerat
(1868-1914)
Epouse Henri Debuire
(1862-1935)
Charretier-Jardinier

En lisant cette branche depuis Denis Carrier, on découvre que la première rupture a eu lieu lorsque Jeanne Carrier a épousé Jean Patour puisque le fils de ce couple a finalement suivi le métier de son père, à savoir chanvrier, et même si son père était marchand filassier ce qui était un métier plus enrichissant, le secteur d’activité était le même.

La seconde rupture intervient lorsque Madeleine Patour épouse Jean Barbier, un maître maçon et entrepreneur en bâtiment. On passe de ce que nous appellerions aujourd’hui le secteur primaire au secteur secondaire. Secteur d’activité qui se poursuit pendant 4 générations et qui s’arrête lorsqu’Agathe Clémentine Barbier épouse un simple manœuvre nommé Alexandre Louis Victor Ménerat. Retour au secteur primaire et au plus bas de l’échelle.

De fait, mon arrière-grand-père finit sa vie comme jardinier, c’est-à-dire comme domestique au château de Vez, commune où il était né et qui se situe à quelques kilomètres de Béthisy-Saint-Pierre.


Vu dans ce sens, on a l’impression qu’à chaque fois qu’une femme de la branche a épousé un « étranger », elle a choisi quelqu’un d’un niveau inférieur, faisant régresser socialement la famille …

Mais si on lit la branche en partant d’Henri Debuire, la lecture est toute autre puisqu’on a alors une vision inverse : à chaque fois qu’un homme de la branche a épousé une femme « étrangère », il a pu entrer dans une famille d’un niveau social plus élevé.

En effet Alexandre Louis Victor Ménerat, simple journalier est entré dans une dynastie de maîtres maçons en épousant Agathe Clémentine Barbier. Jean Barbier est entré dans une famille de marchands en épousant Madeleine Patour et le summum de la progression a été atteint par Jean Patour qui est entré dans la très honorable famille des Carrier en épousant Jeanne Carrier, descendante d’une famille de procureurs du Roi …


A chaque fois, les femmes jouent donc un rôle clef, permettant aux épousés d’entrer dans une famille plus prestigieuse que celle dont ils sont issus.


 

Second exemple, la descendance de René de Chalus

 Je commence volontairement mon exemple à René de Chalus pour deux raisons. La première est que si j’avais voulu démarrer mon étude plus loin dans le temps, cela n’aurait pas eu un grand intérêt dans la mesure où les alliances de cette famille noble avec d’autres familles nobles ne montreraient rien de particulier. La seconde est que cela remonterait trop loin dans le temps et ne permettrait pas de mettre en évidence le phénomène que je tente de démontrer …


René de Chalus est né aux alentours des années 1580 sans doute à la Baconnière, de l’union de Michel de Chalus, écuyer, sieur de la Bénéhardière et de Marie Goddé. Il est décédé le 25 septembre 1627 à la Baconnière, dans la Mayenne. Il était titré écuyer et sieur de la Poupardière.


Je descends de ce René de Chalus par mon arrière-grand-mère maternelle du côté de ma grand-mère maternelle.


René de Chalus
(1580-1627)
Ecuyer, Sieur de la Poupardière
René de Chalus
(v1610-1652)
Ecuyer, Sieur de la Touche et Sieur de la Poupardière
                                                                                                    
René de Chalus

(1630-1675)
Ecuyer, Sieur de la Poupardière
Pierre de Chalus
(1653-v1730)
Ecuyer, Sieur de la Motte
Jeanne de Chalus
(1703-ap1773)
Epouse Jean Tirouflet
(1694-1773)
Marchand tisserand
Jean Tirouflet
(1733-ap1787)
Marchand tisserand
Renée Jeanne Tirouflet
(1766-1819)
Epouse Pierre Jouet
(1763-1824)
Maître tisserand-Propriétaire
Prosper Jouet
(1801-1858)
Boulanger
Mathilde Ténestine Pauline Jouet
(1834-ap1896)
Epouse Jean Baptiste Trochon
(1829-ap1896)
Boulanger
Euphrasie Zoé Alexandrine Trochon
(1861-ap1896)
Epouse Eugène François Girault
(1845-ap1896)
Marchand de tissus
Marie Eugénie Mathilde Girault
(1894-1992)



Même si le phénomène est moins marqué que dans le cas précédent, on note des similarités.

En regardant cette branche depuis René de Chalus, on note qu’elle a quitté la noblesse pour rejoindre la bourgeoisie par le mariage de Jeanne de Chalus avec Jean Tirouflet. Certes, ce Jean Tirouflet possédait la terre de la Roderie et exerçait un métier sans doute lucratif mais il n’était point noble …
Le mariage de Renée Jeanne Tirouflet avec Pierre Jouet n’a semble-t-il pas eu d’impact sur le niveau social de la branche mais on note une altération dudit niveau lorsque le fils est devenu boulanger, même s’il faut imaginer qu’un boulanger est essentiellement un commerçant vendant qui plus est une nourriture de base et pouvant donc être considéré comme quelqu’un d’important dans une petite ville de province.
En réalité la vraie cassure est lorsque la branche est passée de la noblesse à la bourgeoisie par le mariage cité plus haut. Ensuite, il n’y a pas vraiment eu de dégradation.

Si on regarde cette branche depuis mon arrière-grand-mère, on constate qu’une fois de plus l’union d’un ascendant avec une femme d’une autre famille lui a sans conteste apporté une certaine notabilité. On imagine en effet sans problème la fierté des parents Tirouflet lorsque leur fils a épousé Jeanne de Chalus, descendante directe d’une famille noble du Maine dont certains ancêtres ont participé aux plus grandes batailles du Royaume et à quelques croisades !


Le rôle des femmes

Il me semble intéressant de considérer le rôle de femmes en généalogie ascendante. En effet, dans les époques anciennes, la femme n’apportait ni titre ni fortune, sauf en cas de dot importante. Mais elle pouvait apporter quelque chose de plus subtil : la notabilité.

Bien entendu ce raisonnement n’est pas toujours vrai, mais j’ai remarqué à plusieurs reprises que ce qui vu des parents pouvait être considéré comme une mésalliance était en réalité un tremplin de notabilité pour les enfants. Ces derniers pouvant en effet s’enorgueillir d’origines notables (pour ne pas dire nobles dans certains cas) par le biais de leur mère. Après tout, même si les parents pouvaient avoir une mauvaise opinion de leur gendre, ils restaient quand même les grands-parents de leurs petits-enfants, ne serait-ce que parce qu’ils étaient les enfants de leur fille …

Les femmes ont donc un rôle social majeur sous l’ancien régime, ce qu’une étude sociale de nos branches ascendantes peut mettre en évidence. Par ailleurs, cette façon de regarder les branches ascendantes permet de réaliser que même si telle fille de la famille, parce qu’elle était la petite dernière et que toute sa fratrie avait été casée de manière honorable, pouvait se permettre d’épouser le (presque) premier venu, elle restait quand même la fille de, ce qui permet, lorsqu’on remonte dans le temps, de se trouver des ancêtres ayant eu des fonctions importantes.

C’est ainsi que grâce aux femmes un manouvrier du Second Empire peut descendre d’une lignée de Procureurs du Roi dont les plus anciens officiaient sous Henri II … Ou que certains peuvent se rattacher aux Capétiens alors qu’ils ne sont aujourd’hui que de simples citoyens sans fortune ni titre …


Et vous, avez-vous aussi perçu ce rôle des femmes dans votre histoire familiale ?




   


6 commentaires:

  1. Bonjour,

    Oui, j'ai parmi mes ancêtres un exemple, sur lequel je travail justement, et qui correspond à l'évolution sociale décrite dans votre article, que je me permet de citer dans la conclusion de mon post (http://chemindepapier.blogspot.com.au/2014/08/lenigmatique-ascendance-de-marguerite.html).

    En cherchant à résoudre l'ascendance de l'une de mes aïeules, j'ai été confronté aux mêmes questions concernant la "déchéance" sociale de ses enfants et petits enfants, sachant qu'elle est apparemment d'extraction noble. Dans son cas aussi, la nature de son mariage semble avoir eut le même impact pour ses descendants, que dans l'exemple des Carrier que vous donnez plus haut.

    Merci pour cet article.

    André

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    1. Bonjour et merci pour ce commentaire et d'avoir cité mon article dans le vôtre !

      Ce phénomène de déchéance sociale ou d'ascension (selon le sens où on regarde la généalogie) est effectivement assez étrange mais peut s'expliquer selon moi en partie par le range dans la fratrie qu'occupe la femme.
      Si elle est l'aînée, la famille tâchera de la marier avec quelqu'un de son rang ou de sa situation. En revanche, si elle est la benjamine, les "deals" sont déjà faits et les successions arrangées. En conséquence la fille peut alors épouser quelqu'un de moindre condition, l'enjeu étant moindre. Mais ce n'est qu'une hypothèse qui devrait être étudiée de près !

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    2. Tout à fait intéressant et qui cadre parfaitement avec la situation de mon aïeule : elle semble bien être la benjamine.

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    3. Ce n'est qu'une hypothèse, mais elle fait sens : en effet, il ne faut perdre de vue qu'à cette époque rares étaient les mariages d'amour. Ce qui comptaient c'étaient les intérêts des familles, les époux n'en étant qu'un outil.

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  2. Merci pour cette étude très intéressante et qui donne envie d'aller jeter un coup d'œil de plus près sur "nos" femmes... ;)

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    1. Il est certain que ce genre d'étude est riche d'enseignement et montre, si cela était nécessaire, qu'au delà d'une situation sociale officielle inférieures, les femmes avaient en réalité un rôle fondamental dans les familles.
      Celles dont les noms sont restés en ont pris conscience ...

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