mardi 15 janvier 2013

Abandon d'enfants sous l'Empire


En fin d'année dernière et lors de mes bonnes résolutions pour 2013 j'annonçais mon souhait de travailler sur les enfants abandonnés pendant l'Empire à l'Hospice des Pauvres de Beauvais.

Dit comme ça, cela fait très sujet de thèse, mais je n'ai ni la prétention ni les moyens intellectuels de fournir un travail de ce niveau. Non, c'est seulement que la découverte de quelques actes lors de mes recherches m'ont donné envie d'en savoir plus.


Voici donc comment je compte procéder.

1) Trouver la bonne durée

Napoléon Bonaparte est devenu 1er Consul en 1799 mais n'a été couronné Empereur des Français qu'en 1804.

Si je considère la Première Restauration commune une virgule de l'histoire, l'Empire s'est terminé en 1815.

Je vais donc, dans un premier temps, circonscrire mes recherches sur la période qui s'étend de 1804 (ou plus précisément l'an XII) à 1815.

Cela est suffisamment long pour y trouver, je pense des choses intéressantes, et suffisamment court pour que je puisse présenter mes résultats en cours d'année. Ensuite, en fonction des vents, je me laisserai ou non porter, soit vers les débuts de la Révolution (cela doit être intéressant de mesurer la situation en période de trouble public), soit vers la Seconde Restauration.

2) Méthodologie de recherche

Je vais commencer, année par année, à éplucher les résumés annuels des registres de l'état-civil de Beauvais car les officiers dudit état-civil ont eu la bonne idée de faire, à chaque fin d'année, une synthèse, sorte de table annuelle séparant les enfants légitimes, les enfants naturels et les enfants abandonnés.

Cela devrait aller assez vite car il ne s'agira à cette étape que de transcrire les noms et les dates de naissance sur un magnifique tableau Excel ...

Ensuite, je vais rechercher les actes de naissance sur les registres et renseigner mon tableau avec les éléments suivants :
  • année
  • numéro de l'acte
  • nom de l'enfant
  • date de l'enregistrement
  • description physique
  • description des vêtements portés
  • âge de l'enfant au moment de son abandon
  • heure relevée lors de sa découverte par le surveillant ou la surveillante de l'Hospice
  • transcription de l'éventuel mot accompagnant l'enfant
  • quelques notes sur les recherches
Ces éléments me semblent assez exhaustifs car les deux premières années que j'ai commencé à traiter (et oui, j'ai déjà commencé) fonctionnent bien dans ce tableau.

Une fois ce travail effectué, je vais essayer, je dis bien essayer, de retrouver l'acte de naissance original de l'enfant. En effet, lorsqu'un enfant est abandonné, il se passe deux choses : il reçoit le statut d'enfant abandonné, et sa date de naissance devient celle de son enregistrement. Or, dans tous les cas, on connaît l'âge approximatif de l'enfant et il suffit alors (quel nombre d'heures de travail se cache derrière de "il suffit" ?) de chercher les naissances dans les communes avoisinantes ...

Enfin, je vais tâcher de suivre le destin de ces enfants ... L'étude qui a été faite sur un hospice similaire à la fin de l'Ancien Régime montrait un taux de survie de 25% ... Toutefois, j'ai déjà retrouvé une femme mariée issue de cet hospice ... Bien sûr, je ne saurai pas tout, car certains auront déménagé, et puis, bien entendu, je ne saurai jamais s'ils ont entrepris des démarches pour retrouver leurs parents.
En tout cas, ce qui est avéré, c'est que certaines femmes démunies abandonnaient leurs enfants officiellement, pour les reprendre officieusement comme nourrice et ainsi percevoir une rémunération ...


3) Y a plus qu'à ...

Voilà, je me lance car je ne peux plus reculer !

Mais, comme je le disais plus haut, j'ai déjà commencé. En fait, j'ai fait l'étape du recensement et du remplissage de mon tableau pour les années XII et XIII.

Et j'ai déjà trouvé quelques informations intéressantes.

Premièrement, la très large majorité des abandons avaient lieu vers 22h. Pourquoi si tard ? Probablement pour ne pas être vu. Ensuite, ce sont majoritairement des nouveaux-nés ou des petits bébés.
Se pose donc le problème de l'abandon des "grands". J'ai un fils de 3 ans, et je peux vous garantir qu'on ne s'en débarrasse pas aussi facilement ... J'avais bien une petite idée, et elle a été confirmée par le début d'un des actes :
Une femme paraissant âgée de trente à trente cinq ans était entrée chez le portier dudit hospice et y avait déposé un enfant en disant qu'elle allait lui chercher un gâteau, et que depuis ce temps, cette femme avait disparu (…)
Je vais paraître sensible, mais je vous avoue que la lecture de cet acte m'a remué. J'imaginais le déchirement de la mère s'éloignant, le petit enfant (en l'occurrence une petite fille d'un an ...) se demandant ce qui se passait, la première nuit sans sa maman, au milieu des pleurs et des cris des autres enfants. Bref, il suffit de lire Hugo et les aventures de Cosette et des Misérables pour se plonger dans l'époque, et se rendre compte que finalement Hugo n'a fait que décrire ce qui se passait ...

J'ai également vu que la très grande majorité des abandons l'étaient pour raison économique et que c'était la pauvreté cumulée avec l'absence de contraception qui poussaient les mères à abandonner leur enfant.

Enfin, chose que je n'avais pas mesurée jusqu'à présent, c'est que pour la plupart des gens (en tout cas pour ceux qui abandonnaient leur enfant, donc issus des classes les plus populaires), les dates se disaient dans l'ancien style, un peu comme si le calendrier républicain n'était finalement qu'un outil administratif existant pour noter les événements officiels mais pas ou peu utilisé dans la vie courante. Ce qui me fait dire que l'abandon de ce calendrier par Napoléon Ier le 1er janvier 1806 n'a finalement dû choqué personne (d'autant plus que la plupart des révolutionnaires qui en étaient les instigateurs avaient péri par là où ils avaient péchés : la guillotine ...)

Voilà donc du grain à moudre pour les mois à venir !


Et vous, avez-vous eu des envies d'études plus poussées sur des sujets découverts lors de vos recherches ?

Pour aller plus loin : 


           

6 commentaires:

  1. Beau projet ! J'ai croisé quelques enfants exposés au fil des archives et en particulier ceux d'Angliers dans la Vienne (http://lulusorciere-archive.blogspot.fr/search/label/Angliers)ce qui m'a menée vers la série X aux AD et quelques trésors d'archives encore à raconter.
    Bonne année à vous !

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  2. Oui, beau projet, va falloir avoir le coeur bien accroché ! Voila qui rendra hommage aux femmes démunies et aux enfants abandonnés ! On a hâte de vous lire !
    Anne

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    1. Merci !

      C'est vrai que même si on fait l'effort intellectuel de se replacer dans le contexte et qu'on se dit que les gens étaient moins sensibles que maintenant, ça fait quand même mal.
      Personnellement, j'ai plus de mal à avoir un abandon d'un enfant de 2-3 ans qu'un nouveau né. J'imagine la terreur de ce petit enfant qui se demande ce qui se passe et qui recherche en vain sa maman.
      Mais effectivement vous avez raison, c'est un moyen de rendre hommage à ces oubliés de l'histoire !

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    2. "les gens étaient moins sensibles que maintenant" : personnellement, je n'en sais rien, mais je repense à ce que dit régulièrement l'historienne Arlette Farge sur ce sujet. Ici par exemple, où il est (rapidement) question des liens entre parents et enfants au XVIIIe : http://clio-cr.clionautes.org/spip.php?article828

      Cela étant dit, je vous souhaite des recherches fructueuses et enrichissantes, que je lirai moi aussi avec intérêt.
      Et surtout, surtout, si je puis me permettre, cultivez votre sensibilité : c'est tout de même une qualité, non ?

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    3. Bonjour Hélène,

      Moi non plus je ne sais pas si les gens étaient moins sensibles que maintenant. Je voulais seulement dire que c'est une excuse que nous trouvons pour essayer de justifier des actes que nous ressentons aujourd'hui comme terribles.
      Je crois au contraire qu'il n'est jamais facile pour une mère d'abandonner son enfant, que cela doit être un déchirement, que ce soit au XVème au XVIIème ou à notre époque ...

      Merci en tout cas pour le lien. Je vais le lire avec intérêt !

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    4. Dans le domaine qui vous intéresse, Il y a beaucoup à apprendre de la lecture des affaires criminelles, les interrogatoires, les témoignages apportent beaucoup pour la compréhension de la violence d'une époque. Car alors nous avons les mots des protagonistes, leurs sentiments exprimés. on y apprend aussi tout ce que la justice ne veut ni voir ni savoir. La clémence envers les femmes coupables d'infanticide au XVIIIème siècle, assez fréquente dans les affaires que j'ai dépouillées, m'a surprise, elle va de pair avec l'incroyable absence de culpabilisation du père qu'il soit mari, amant et/ou complice, jamais condamné, à peine interrogé et le terrible état d'abandon de certaines femmes et de très nombreux enfants mendiants.
      Tout va changer progressivement au XIXème,
      Relire aussi Elisabeth Badinter : l'amour en plus. Passionnant.

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