mardi 19 août 2014

Combien d’indices pour une preuve ?


Celles et ceux qui regardent les séries policières savent que lorsqu’on veut comparer les empreintes digitales trouvées sur le lieu d’un crime avec celles qui sont stockées dans la base de données il est nécessaires de disposer d’un certain nombre de points caractéristiques communs. Autrement dit, s’il se trouve un certain nombre de points caractéristiques communs, les deux empreintes seront réputées identiques, sinon elles seront considérées comme différentes.

La généalogie s’apparentant parfois à une enquête, il m’a semblé intéressant de poser le problème de la preuve et du nombre d’indices qui sont nécessaires pour affirmer que telle personne trouvée est bien celle qu’on recherche.



Ces indices peuvent être de plusieurs natures :

  • des dates qui correspondent
  • des professions qui correspondent
  • des liens familiaux qui correspondent
  • des noms ou des prénoms qui correspondent
  • des lieux qui correspondent


Les dates

Les dates ne constituent pas à proprement parler une preuve, surtout si elles sont déduites d’autres dates. En effet, les curés d’antan n’avaient pas le même niveau de rigueur que nos actuels officiers d’état-civil car l’enjeu était complètement différent. A l’époque seul comptait le fait d’être baptisé et de mourir avec les sacrements de l’église. De nos jours ces sujets sont secondaires et la précision seule compte pour éviter les doublons avec leurs conséquences administratives.

Alors lorsqu’une personne décède le 3 juillet 1725 à l’âge de 60 ans, cela ne signifie pas qu’elle est née le 3 juillet 1665. Cela signifie seulement qu’elle est née entre 1660 et 1670 (encore que cette marge d’erreur varie selon les lieux, les époques et les curés).

Cependant, savoir qu’une personne dont on recherche les parents est née dans cette période permet de chercher les couples ayant au des enfants porteurs de ces nom et prénom ce qui restreint le champ des recherches.


Les professions

Autrefois nos ancêtres parlaient de vacation, d’occupation, de métier ou d’office. Ce n’est qu’à partir de la Révolution Française qu’est apparue cette notion de profession.

De plus, dans le passé, la plupart de nos ancêtres étaient des cumulards au sens où ils avaient un métier principal (souvent lié à l’agriculture) et un métier secondaire qui permettait d’arrondir les fins de mois ou de gagner suffisamment pour pouvoir payer les différents impôts (particulièrement lourds sous le règne de Louis XIV).

Alors avoir une personne qui est un jour « journalier » puis un autre «chanvrier » est tout à fait possible. Ce n’est pas forcément une évolution sociale, c’est seulement le reflet de l’occupation du moment.

Les choses sont un peu différentes pour les offices ou les professions artisanales ou de commerce. Ainsi un « garde des plaisirs du Roi » a des chances de le rester toute sa vie et surtout a de grandes chances de voir cet office précisé dans les actes le concernant.


Les liens familiaux

Nos ancêtres avaient tendance à chercher dans leur famille proche les parrains et marraines de leurs enfants. Cela ne signifie pas que tous les parrains sont des oncles ou les marraines des tantes, mais en tout cas il y avait un lien fort entre les parents et les compères de leurs enfants.

Une personne citée comme parrain ou marraine d’un enfant n’était donc pas un parfait inconnu et si elle apparaît à plusieurs reprises dans le parrainage d’autres enfants de la famille, cela renforce cette proximité.

Par ailleurs, certains curés consciencieux donnaient des informations sur ces personnes comme étant le fils ou la fille d’untel ou la femme d’untel. Cela peut permettre de mieux cerner le personnage et de trouver des indices sur son lien avec la famille.


Les noms et prénoms

A une époque récente (à partir de la fin du XVIème siècle), les noms et prénoms sont bien fixés et seules peuvent varier la prononciation et donc l’orthographe. C’est là que le problème se pose. Un « Carlier » est un « Carrier », un « Thieu » est un « Thiou » ou un « Thioux » et un « Fagnet » peut rapidement se transformer en « Phannier » si le curé n’est pas du coin.

Il faut donc traquer les similitudes phonétiques pour tenter d’identifier telle porteur de nom.

A l’inverse Pierre Choron peut aussi bien être le fils de Jean Choron, de Pierre Choron ou encore de Denis Choron. Ce n’est donc pas ce prénom qui va le distinguer … Et il y a les prénoms composés qui se simplifient à l’usage. Ainsi une fille baptisée Marie Jeanne se mariera sous le prénom de Marie et pourra être inhumée comme Jeanne.

Mais les personnes étaient suffisamment identifiées pour que des sobriquets accompagnent les homonymes. Ainsi un Denis pourra être dit « Denisot » ou un « Pierre » pourra être dit « de Limage ». Ce sobriquet perdurant dans le temps, cela permet de distinguer les personnes.

Et puis le prénom étant donné au moment du baptême, il avait en quelque sorte une force symbolique forte. Ce qui fait qu’un Jean ne pouvait pas être appelé Pierre, ce qui permet encore une fois de pouvoir s’appuyer raisonnablement sur les prénoms pour identifier une personne.


Les lieux

Nos ancêtres bougeaient parfois, mais pas tous. Sauf nécessité absolue (guerre, famine) la plupart de nos ancêtres étaient assez casaniers.

En revanche, les femmes pouvaient soit attirer leur mari dans leur paroisse soit quitter leur lieu de naissance pour aller vivre dans un autre endroit avec leur mari. Tout dépendait en fait des terres disponibles et des opportunités de travail.

La mise en place d’une ligne de vie permet de pouvoir suivre ces personnes surtout en considérant le fait que sauf cas exceptionnel elles conservaient un lien avec leur famille d’origine qui pouvait se traduire par des apparitions comme parrain ou marraine. Dans ce dernier cas le curé indiquant souvent la paroisse de résidence, c’est un bon moyen pour traquer l’individu recherché.


Cas pratique

Lorsqu’on regarde une personne avec ces différents angles, cela permet de disposer d’un nombre d’indices suffisamment important pour pouvoir la considérer comme appartenant à telle famille et donc pouvoir la raccrocher à une branche de son arbre.

Tout cela évidemment si on ne dispose pas des preuves absolues que sont les actes de naissance, de mariage ou de décès filiatifs …

Le cas pratique est celui d’Ambroise Desjardins, chirurgien de son état et qui a vécu dans la région de Béthisy-Saint-Pierre  dans la seconde partie du XVIIème siècle. La question est de savoir si oui ou non il est rattaché à ma famille ou s’il est complètement étranger à celle-ci.

L’information principale dont je dispose est son acte de mariage en date du 7 février 1649 avec une dénommée Marguerite Choron. Malheureusement l’acte de mariage n’est pas filiatif et ne comporte aucune mention particulière J’ai certes des Choron dans mes ancêtres mais cela est bien insuffisant pour le rattacher à mon arbre. Et quand bien même cela serait le cas quel serait le lien avec mes Choron ?

Je sais aussi qu’il est né le 21 septembre 1623 d’Ambroise Desjardins et de Marthe Thieu. Ce couple a eu 6 enfants qui ont tous eu comme parrains des notables de Béthisy-Saint-Pierre. Cela n’est certainement pas dû au hasard mais soit à une volonté de la part des parents de faire partie de cette classe sociale, soit plus prosaïquement parce qu’il était lui-même issu de cette classe de notables.

Le problème est que je ne trouve pas de trace d’une quelconque descendance d’Ambroise Desjardins et de Marguerite Choron à Béthisy-Saint-Pierre. Il s’agit soit d’un couple stérile (peu probable mais possible) soit d’un couple ayant vécu ailleurs.

Un autre indice est que dans l’acte de décès de Marguerite Choron du 20 novembre 1701 je lis que non seulement elle est décédée à l’âge de 68 ans, que son mari Ambroise Desjardins est dit chirurgien et garde-chasse des plaisirs du Roi en la forêt de Senlis et que deux de ses frères étaient présents à sa sépulture : Denis Choron, filassier et maître Pierre Choron, garde-chasse en la forêt de Senlis.

Ainsi Ambroise Desjardins est chirurgien et exerce un office, comme son beau-frère. Par ailleurs cela peut expliquer pour quelle raison il ne réside pas à Béthisy-Saint-Pierre.

Ambroise étant un nom peu courant on peut chercher du côté des parrainages. Entre 1623 et 1719 on ne trouve pas moins de 17 mentions d’un Ambroise Desjardins parrain. Dans le lot il y a le père et le fils mais pour le fils, il est à chaque fois mentionné comme étant chirurgien. Une fois même en 1641 (année du mariage d’Ambroise Desjardins avec Marguerite Choron) un Ambroise Desjardins est mentionné comme parrain et comme exerçant le métier de clerc à Feigneux. Que cela soit le père ou le fils cela donne un indice supplémentaire quant au lieu de résidence.

Une mention intéressante concerne le baptême de Jeanne Choron, fille de Denis Choron et de Catherine Louis, le 20 avril 1671. Ambroise Desjardins est le parrain de l’enfant. Or Denis Choron et Catherine Louis ne sont pas des inconnus pour moi car ce sont les sosas 4718 et 4719 de mes enfants et le père de Catherine Louis est Nicolas Louis, maître chirurgien. Ce dernier s’étant marié en 1632, il est de la même génération qu’Ambroise Desjardins et exerce la même profession, de quoi rapprocher les deux hommes.

Quant à Denis Choron, il est le fils de Jean Choron et d’Antoinette Collas, qui ont eu 7 enfants dont :

  • Pierre Choron, né le 20 septembre 1637 et chirurgien et garde des plaisirs du Roi
  • Denis Choron, né le 19 janvier 1643 et filassier
  • Marguerite Choron, née le 23 août 1634 et dont je ne connais pas la vie


Tous ces indices font raisonnablement penser qu’Ambroise Desjardins est le mari de cette  Marguerite Choron et qu’il est donc allié à ma famille par ce mariage puisqu’il est le gendre des sosas 9436 et 9437 de mes enfants. Quant à Marguerite Choron, née en 1634 elle devrait avoir 67 ans en 1701, ce qui est indice supplémentaire puisque l’acte de décès de la femme d’Ambroise Desjardins indique qu’elle avait 68 ans ...

Il ne reste plus qu’à chercher du côté des paroisses voisines, et en particulier Feigneux, pour trouver une descendance à ce couple, mais cette analyse montre que faute de preuve absolue on peut toutefois, en cumulant les différents indices trouvés dans différents domaines, résoudre quelques énigmes …



Si cet article vous a été utile, n’hésitez pas à le partager.

7 commentaires:

  1. Très bon article pour illustrer certaines difficultés que l'on rencontre bien que trop souvent à mon goût :) ! Surtout à partir du XVIIIe.

    En ce qui concerne les noms et prénoms, je rajouterais aussi la problématique de patois ou langue régionale.

    J'ai dans mon arbre un ancêtre dont le père est Joseph ROQUE lors de sa naissance. Ce Joseph s'est marié mais l'acte bien qu'en français nous indique son nom sous forme catalane, à savoir ROCA.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est vrai que les patois locaux, surtout s'ils sont interprétés phonétiquement par un curé fraîchement débarqué posent problème ! J'ai des "Collas" qui sont ainsi écrits "Coula" à la fin du XVIème siècle.

      Supprimer
    2. C'est à ce moment là qu'entre en jeu la notion de "doute raisonnable" car parfois même avec une multitude d'indices impossible d'être certain

      Supprimer
    3. C'est la raison pour laquelle je ne relie deux personnes dans mon arbre que lorsque je dispose d'un lien prouvé.
      Si je n'ai qu'un doute, fut-il raisonnable, je mets les personnes susceptibles de figurer dans mon arbre dans un arbre parallèle avec une note explicative .

      Supprimer
  2. C'est l'aspect fascinant de la genealogie pour moi: le "sleuthing" continuel. Merci pour cet article interessant.
    Annick

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est certain qu'on comprend pourquoi une des principales caractéristiques qu'un généalogiste doit avoir est la persévérance !

      Supprimer