Dans la vie il y a quelques personnes dont le comportement
est extraordinaire et qui peuvent nous servir d’exemple. Au milieu, il y a l’immense
majorité qui est composée d’individus ni bons ni mauvais, mais tout simplement
humains et qui tentent de faire de leur mieux. Mais à l’autre bout de la
chaîne, il y a des personnages dont la bassesse et la médiocrité est effarante
et qui sont d’une petitesse absolue.
Lors de mes recherches sur la paroisse de Béthisy Saint
Pierre dans l’Oise, j’ai rencontré, je pense, un de ces hommes tiraillé entre
ses pulsions, sa personnalité et les contraintes d’un monde très peu tolérant. Un
de ces hommes qui composaient la majorité des sujets de Louis XIII, ni ange, ni
démon.
Croix huguenote |
Le contexte
Le Valois a ceci de particulier qu’il est proche de Paris et
qu’il est à l’origine d’une dynastie qui a régné sur la France de Philippe VI
en 1328 jusqu’à Henri III en 1589. Par ailleurs, il semble que le fait que le
roi Henri IV, au départ un des leaders de la cause huguenote se soit marié à Marguerite
de Valois, la sœur des trois frères ayant régné de 1559 à 1589, cette région
ait été propice aux idées de la Réforme.
On trouve d’ailleurs beaucoup d’abjurations en 1698, date de
la signature par Louis XIV de l’Edit de Fontainebleau, mettant fin à l’Edit de Nantes
promulgué par son aïeul. Mais, ci et là et bien avant 1698, on trouve des actes d’abjurations
prouvant le zèle de ces curés prêts à tout pour sauver ces pauvres âmes
perdues.
Cependant, il est assez rare de trouver dans ces actes, les
raisons qui ont poussé ces hommes et ces femmes à suivre les préceptes de
Calvin. Certains, voire plupart, sont nés protestants et ils ont fini par se
convertir de guerre lasse (plus sans doute que par conviction profonde), d’autres
en revanche, nés catholiques, ont fait le choix un jour de changer de religion,
mais ont finalement renoncé et sont finalement revenus dans la maison du Père,
si on veut faire un parallèle avec la parabole du retour de l’enfant prodigue …
Philippe Lavoine
La première fois que j’ai rencontré Philippe Lavoine, c’était
sur les deux derniers feuillets des registres paroissiaux allant des années
1638 à 1661, correspondant sans doute au ministère de Jacques Mariage, le curé
de Béthisy Saint Pierre.
Ce curé avait une écriture détestable, omettait de noter les
sépultures des enfants et oubliait parfois de noter des noms dans les actes de
baptêmes, de mariage ou de sépulture de ses ouailles. Mais vu de l’évêché
il était quand même méritant car il a réussi à faire rentrer dans la « vraie
église » quelques âmes perdues. Au nombre de ces huguenots on compte
Philippe Lavoine et ses enfants.
Ce qui est remarquable avec la conversion de ce Philippe
Lavoine c’est qu’il est né catholique et qu’il s’est converti vers 1638 au
protestantisme. La raison pour laquelle il s’est converti n’est pas spirituelle
ou même intellectuelle, mais purement … personnelle. En effet, notre curé Mariage note :
« (…)lequel a déclaré que dès sa jeunesse il a toujours fait profession de la religion catholique apostolique et romaine en laquelle il a été baptisé, instruit … sinon que depuis quatre and, par la honteuse fréquentation qu’il a eu avec aucune hérétique demeurant en ce bourg, il est tombé en ladite hérésie calvinisme qu’on nomme ordinairement entre eux la religion prétendue réformée et qu’il demeura pendant ledit temps sans être néanmoins assuré ni certain de sa croyance, a… a toujours eu des doutes et difficultés sur les articles de foi qu’on professe en ladite prétendue religion (…) »
Traduit en des termes plus contemporains, Philippe Lavoine a
fauté avec une huguenote et s’est laissé entraîner dans la foi de Calvin pour
suivre sa maîtresse. Notre curé ne précise pas si Philippe Lavoine était alors
veuf ou non (même s’il est fortement probable que oui), mais toujours est-il qu’on
en peut pas s’empêcher de faire un parallèle avec la Genèse où Eve, séduite par
Satan a proposé à Adam de manger le fruit de l’arbre de la connaissance …
Chacun aura, je pense reconnu les acteurs de la Genèse version 1638 !
En tout cas, notre homme est tourmenté, doute de la véracité
de qu’on lui enseigne au Temple et, sans doute ayant rompu avec la belle
calviniste, ou celle-ci étant décédée à son tour, il décide de rejoindre les
rangs de la Papauté.
Ainsi, avant de lister les témoins, l’acte donne le
dénouement de cette affaire :
«(…)Etant pleinement satisfait et enhardi par les preuves de la Sainte Ecriture autorité des com… des … aux témoins … il a reconnu que ladite église catholique est la seule et vraie église en laquelle il peut faire son salut et partant et présentement de son plein gré et libre volonté abjuré et renoncé à ladite hérésie calvinisme comme abominable et détestable, désirant moyennant la grâce de Dieu rentrer au giron de la Sainte Eglise Catholique Apostolique et Romaine en laquelle il a été comme dit est, baptisé, instruit et dont il a fait profession en toute sa vie sinon derniers lesdits quatre ans et professe désormais y demeurer fermement, y vivre et y mourir reconnaissant qu’elle est la seule vraie église et que hors d’icelle il n’y a point de salut.(…) »
Notons au passage que le curé Mariage n’y va pas par quatre
chemin en écrivant que la religion de Calvin n’est rien moins que « abominable
et détestable » … On mesure clairement les progrès faits depuis ce temps …
Un homme pas si net que ça
Bref, le portrait de Philippe Lavoine tel que décrit pas le
curé Mariage est celui d’un pauvre type séduit par une sirène huguenote, mais
qui pris de remords et assailli par le doute décide de revenir au bercail, tel
le fils prodigue décrit par Saint Mathieu. On peut d’ailleurs penser que la
relation des faits a une vertu éminemment pédagogique pour notre curé qui a dû
y voir un signe divin.
Mais remontons un peu le temps et tâchons d’en savoir plus
que notre Philippe Lavoine, marchand filassier de son état, donc a priori pas
si benêt que cela.
Le 27 mai 1619, Philippe Lavoine épouse Denise Lefebure. Son
acte de mariage est un peu spécial car il mentionne deux informations
intéressantes :
« Philippe Lavoine et Denise Lefebure, paroissiens de St Pierre de Béthisy furent conjoints ensemble par mariage le lundi 27 de mai mil six cent dix neuf assistés de quelques uns de leurs parents, après les fiançailles qui furent il y avait plus de quatre ans et ont quasi derniers temps vécus en concubinage, et pendant ledit concubinage ils ont engendré un enfant à cause de quoi ledit enfant a été mis en dessous le drap sans avoir … »
Etonnant, non ?!
Notre homme a donc été fiancé 4 ans pendant lesquels il a eu
un enfant avec sa fiancée et il a fallu finalement le mariage des parents pour
reconnaître ledit enfant !
La réflexion qui me vient à l’esprit, c’est que ce Philippe
Lavoine est un sacré coquin qui a le chic pour se mettre dans des situations
pas possibles et qui finit toujours par rentrer dans le droit chemin, contraint
et forcé. Je pense qu’il aurait été plus heureux à notre époque, car
manifestement, il n’était pas très heureux des règles de vie imposées par son
temps !
On notera la résurgence de l’expression médiévale « enfant
mis en-dessous le drap » qui signifiait jadis faire sortir inopinément l’enfant
illégitime de dessous le drap marital pour simuler une naissance spontanée une
fois le mariage prononcé, ce qui permettait de le légitimer du même coup, l’enfant
étant né après l’union de ses parents !
Un père tyrannique ?
Non content de ne respecter aucune règle en vigueur à son
époque, Philippe Lavoine a entraîné toute sa famille dans sa « folie ».
En fait, on ne parle pas de sa femme, qui devait être décédée au moment des
faits car je pense que s’il avait quitté sa femme légitime pour aller vivre
avec sa maîtresse calviniste, il aurait été qualifié d’adultère, et les choses
auraient sans doute été plus compliquées pour lui ...
Toujours est-il qu’à la suite de l’acte d’abjuration de
Philippe Lavoine, on trouve celui de ses trois fils puînés, Pierre âgé de 13
ans, Jean âgé de 11 ans et Philippe âgé de 5 ans. Les raisons qu’ils mettent en
avant pour justifier leur conversion au catholicisme sont que :
« (…) tous allant au prêche à leur grand refus, mais pour seulement obéir à leur père (…) »
D’ailleurs, quelques mois avant la conversion du père, le
fils aîné, Antoine Lavoine avait craqué le premier puisqu’âgé de 18 ans,
il abjure sa foi protestante :
« (…) lequel pour obéir à son père a été … de trois ans et demi ou environ à venir dans la religion calvinisme que l’on appelle la religion prétendue réformée, reconnaissant les abus et erreurs de ladite religion calvinisme a quitté et abandonné l’hérésie pour son ranger dans la vraie église catholique et apostolique romaine de laquelle il était sorti depuis trois ans et demi ou environ pour obéir à son dit père (…) »
Un scénario probable
Philippe Lavoine rencontre Denis Lefebure dans les années 1614.
Il se fiance en 1615 mais tarde à se marier. Cependant, ne pouvant se contenter
de disposer d’une fiancée et d’attendre sagement le mariage pour commettre le
péché de chair, il lui fait un enfant qui naît alors qu’ils ne sont pas encore
mariés … Scandale ! Le mariage tant repoussé est alors nécessaire, ce qui
est fait le 27 mai 1619.
Quelques années passent et le couple voit naître d’autres
enfants :
- Antoine vers 1623
- Pierre vers 1628
- Jean vers 1630
- Philippe vers 1637
Il est probable que Denise Lefebure décède vers 1637-1638.
Désoeuvré, Philippe Lavoine rencontre une femme de Béthisy qui est protestante.
Il tombe amoureux et la suit, avec ses enfants, forçant tout le monde à suivre
les préceptes de la Religion Prétendue Réformée. Nous sommes alors en 1638.
Mais au fond de lui, il n’est pas convaincu, et il est
possible que son métier de marchand filassier en pâtisse. La révolte gronde
aussi parmi ses enfants qui sont sans doute rejetés par leurs anciens amis
catholiques et pas forcément acceptés par les protestants …
En octobre 1641, le signal du ralliement à la religion
catholique, apostolique et romaine est donné par Antoine, le fils aîné. S’ensuivent
le père et les autres fils.
Voici donc une histoire peu banale d’un homme sans doute
pris entre sa personnalité et les contraintes imposées par une époque où la
religion était tout … Un homme pas très catholique en somme !
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Pour aller plus loin :
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