mardi 25 février 2014

Le choc des histoires



Pas plus tard que le week-end dernier, alors que j’étais en train de dépouiller consciencieusement les registres paroissiaux de Béthisy-Saint-Pierre, sport auquel je m’adonne depuis plusieurs semaines, j’ai trouvé un acte très particulier qui a éclairé tout d’un coup un pan de mon histoire familiale. Eclairage sur un moment de l’histoire de deux de mes ancêtres qui ont vécu directement un des événements les plus marquants du règne de Louis XIV …

Louis XIV


En fait tout a commencé par une recherche d’ascendants classique.

Le 26 septembre 1741, Claude DIDELET épouse Madeleine THOMAS. Claude DIDELET est né le 16 novembre 1716 du mariage de Martin DIDELET et d’Elisabeth BOURGEOIS, tandis que la future, Madeleine THOMAS est née le 6 avril 1715 du mariage de Louis THOMAS et d’Anne VAUSQUIN.

Tous ces gens sont natifs de la paroisse de Béthisy-Saint-Pierre et Claude DIDELET et Madeleine THOMAS sont les ancêtres de ma grand-mère paternelle et les sosas 626 et 627 de mes enfants.

Avançant davantage sur la branche DIDELET, j’ai rapidement trouvé le mariage de Martin DIDELET avec Elisabeth BOURGEOIS qui a eu lieu le 18 octobre 1707, également à Béthisy-Saint-Pierre. Leur acte de mariage ne laissait rien présager de particulier puisque  
Martin DIDELET était dit être le fils de feu Martin DIDELET, manouvrier de son vivant et d’Anne CHRETIEN (dont la forme du nom varie entre CRESTIEN, CHRESTIEN ou CHRESTIENNE). 
Elisabeth BOURGEOIS elle, était la fille de feu Louis BOURGEOIS, manouvrier de son vivant et de Marie de SAINT-JUST (variant en SAINT-JUST ou de ST JU).

Rien de spécial donc.

Seulement, lisant un très bon document écrit par Francis Lavoisier et intitulé « les chanvriers filassiers de Béthisy », je découvrais à la fin la liste des patronymes les plus courants de Béthisy-Saint-Pierre et de Béthisy-Saint-Martin où je retrouvais mes DIDELET et BOURGEOIS. Une mention attira cependant mon regard qui indiquait que les BOURGEOIS étaient de Béthisy depuis au moins 1597 et qu’ils étaient d’origine protestante …

Seulement, aucune mention de l’acte de mariage Martin DIDELET / Elisabeth BOURGEOIS ne semblait indiquer une appartenance à la Religion Prétendue Réformée.

Mes recherches continuant, je suis alors tombé sur l’acte de décès de Marie de SAINT-JUST, la mère d’Elisabeth BOURGEOIS :


Le mardi vingt-troisième mai audit an (1690) est décédée en la communion de notre mère Sainte Eglise, Marie de St Just, femme de Louis Bourgeois, nouveaux convertis, âgée de trente cinq ans ou environ, laquelle fut inhumée le même jour au cimetière de St Pierre de Béthisy sa paroisse, assistée de ses proches.


Et quelques années plus tard, en 1697 :


Le samedi sixième jour de juillet audit an (1697) est décédé en la communion de notre mère Ste Eglise Louis Bourgeois, nouveau converti, âgé de cinquante sept ans ou environ, lequel fut inhumé dans le cimetière de Béthisy sa paroisse, assisté de ses proches qui ont déclaré ne savoir signer.


Ainsi , les deux parents d’Elisabeth BOURGEOIS, Louis BOURGEOIS et Marie de SAINT-JUST étaient-ils qualifiés lors de leur sépulture de « nouveau converti ». Cela signifierait-il qu’ils seraient effectivement protestants ? Et de quand daterait leur conversion ?

La conversion des huguenots


Quelques recherches sur internet m’ont permis de trouver un document publié par les archives départementales de l’Oise intitulé « Lesregistres protestants des pays de l’Oise sous l’Ancien Régime (1572-1792) ». Cet ouvrage collectif écrit par Christian GUT et Roger KRESMANN est en fait le relevé de tous les registres protestants de l’Oise : on imagine sans peine la joie que j’ai éprouvée en trouvant ce document.

Joie qui allait être comblée par la découverte (confirmée par la suite par la lecture des registres protestants de la ville de Compiègne) de l’acte de baptême de deux enfants jumeaux, Etienne et Marie Madeleine BOURGEOIS, en date du 10 octobre 1683 :


Aujourd'hui dixième jour d'octobre mil six cent quatre vingt et trois ont été baptisés en notre Temple à Bienville Etienne et Marie Madeleine Bourgeois, tous deux enfants jumeaux de Louis Bourgeois, chanvrier et de Marie de St Just, leurs père et mère demeurant à Béthisy.

Etienne de St Just, demeurant à Berneuil et Marthe Lorin, fille du Sr Mathieu Lorin demeurant à St Martin ont été parrain et marraine dudit Etienne Bourgeois.

Jean Bourgeois, chanvrier demeurant audit Béthisy et Jacqueline Temps, femme de Pierre Bourgeois demeurant aussi audit lieu ont été parrain et marraine de ladite Marie Madeleine.

Tous les susnommés ont signé le présent acte, excepté ladite Jacqueline Temps qui a déclaré ne savoir signer et ils ont dit que ces enfants sont nés le huitième du présent mois et an.


Je détenais enfin la preuve qui me manquait : Louis BOURGEOIS et Marie de SAINT-JUST étaient bien des protestants mais s’étaient convertis au catholicisme avant 1690, date du décès de Marie.

Il ne manquait alors qu’une pièce au puzzle pour qu’il soit complet, et c’est lors du dépouillement de mes registres paroissiaux que je l’ai trouvée. Le lecteur généalogiste sait exactement ce qu’on éprouve lorsqu’on découvre un document qui est important pour son histoire familiale, je n’ai donc pas besoin d’entrer davantage dans les détails pour décrire mon sentiment de bonheur …

Ce document est en fait un ensemble de trois actes qui se suivent, datant respectivement du 13 décembre 1685, du 17 décembre 1685 et du 19 décembre 1685. Il s’agit d’attestations d’abjurations collectives de pas moins de 24 protestants !
Parmi eux, on retrouve bien entendu Louis BOURGEOIS et son épouse Marie de SAINT-JUST. Curieusement, Louis a abjuré le 13 décembre et Marie le 17 décembre. Pourquoi un tel délai ? Mystère. Peut-être était-ce dû à des raisons pratiques d’organisation personnelle ?

Pour donner une idée du style, voici l’acte concernant Marie de SAINT-JUST :


Nous soussigné prêtre curé de la paroisse de St Pierre de Béthisy, diocèse de Soissons, certifions à tous qu'il appartiendra que :
- Pierre de Presles, âgé de 11 ans
- Marthe de Presles, âgée de 13 ans, natifs de Meaux
- Marie de St Just, femme de Louis Bourgeois, âgée de 34 ans, native de St Queux, diocèse de Beauvais
- Pierre Bourgeois, âgé de 11 ans
- Jacques Bourgeois, âgé de 13 ans
- Marthe Bourgeois, âgée de 12 ans
- Etienne Bourgeois, âgé de 12 ans
- et Josias Jacques, âgé de dix huit à vingt ans,
tous natifs dudit Béthisy ont fait entre nos mains abjuration de l'hérésie en laquelle ils ont été élevés et que je leur ai donné l'absolution dans l'église dudit lieu le lundi dix septième jour de décembre mil six cent quatre vingt cinq, en foi de quoi j'ai signé la présente attestation le jour et an que dessus, et ont déclaré ne savoir signer


Je ne peux pas m’empêcher de faire deux remarques :
Quid des enfants en bas âge ? Par exemple, en décembre 1685, Elisabeth BOURGEOIS, la future épouse de Martin DIDELET à environ 2 ou 3 ans. Or elle ne figure pas dans les actes d’abjuration. L’Eglise devait sans doute considérer que les enfants consentaient du moment que leur parents se convertissaient. Peut-être étaient-ils re-baptisés, le baptême protestant n’équivalant au baptême catholique que de nos jours …
Quid des mariages ? Dans la mesure où pour les protestants le mariage n’est pas un sacrement, les catholiques pouvaient légitiment considérer que ces couples étaient illégitimes. La conversion entraînait-elle de facto la régularisation du mariage ?

Cette parenthèse fermée, revenons à notre couple.

Louis BOURGEOIS et Marie de SAINT-JUST sont tous les deux protestants. Louis est originaire de Béthisy-Saint-Pierre, tandis que Marie vient de Cinqueux, petite paroisse à quelques kilomètres au Nord-Est de Nogent-sur-Oise (et non pas Saint Queux comme l’a transcrit le prêtre …). Dans les deux cas on a affaire à des familles huguenotes depuis longtemps.

C’est donc tout naturellement qu’ils se rendent au Temple de Compiègne pour y faire baptiser leurs enfants, cette ville étant une des places où le culte protestant est autorisé depuis la promulgation de l’Edit de Nantes en 1598.

18 octobre 1685 - Edit de Fontainebleau


Seulement le 18 octobre 1685, le roi Louis XIV révoque cet édit depuis Fontainebleau, qui donne donc à ce nouvel édit royal, le nom d’Edit de Fontainebleau. Entre autres conséquences il est stipulé que désormais la seule religion possible de France sera le catholicisme. Concrètement, pour les protestants se sera la conversion ou l’exil.
Car, à supposer que des protestants refusent l’exil et la conversion, la vie deviendra très difficile pour eux dans la mesure où leurs lieux de culte et leurs écoles seront fermés et que certains métiers leur seront interdits.

Cela explique donc pourquoi on retrouve un groupe de 24 huguenots de la région abjurant leur foi protestante en décembre 1685, soit deux mois après la proclamation de l’édit dans tout le Royaume.

Ainsi, la petite histoire de mes ancêtres s’est-elle heurtée violemment à la grande histoire !

J’ignorais totalement avoir des origines protestantes dans cette branche et pour la petite histoire, ma grand-mère paternelle, issue de ce couple de convertis, quoique bonne catholique s’est convertie au protestantisme dans les années 30 pour pouvoir épouser mon grand-père paternel qui était pasteur de l’Eglise Réformée …

Désormais, lorsque je lirai des ouvrages, des articles ou des documents relatifs à cet édit de Fontainebleau ou que je verrai des reportages sur ce thème, je repenserai à Louis BOURGEOIS et Marie de SAINT-JUST qui furent contraints d’abjurer la foi de leurs aïeux un jour de décembre 1685 …



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Pour aller plus loin : 




           

10 commentaires:

  1. Bravo pour cet article. Je lis toujours avec attention les actes d'abjuration quand je les trouve dans mon Poitou natal, ou dans le Tarn et l'Aude, autres berceaux du protestantisme. Pour l'instantn, je n'ai encore rien trouvé concernant mes ancêtres
    Ta question sur le mariage m'interpelle, effectivement, que se passait il ? Je ne me souviens pas d'avoir vu de "remariage" dans les registres parcourus ... A suivre peut etre :)

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    1. Pour le mariage, j'ai l'impression (mais il faudrait qu'un spécialiste nous éclaire) que l'abjuration était une sorte de "package" où on effaçait toutes les "erreurs" passées. Cela devait donc inclure le cas des mariages au Temple ou les baptêmes par un pasteur ...
      A vrai dire, cela ne m'a jamais interpelé avant cette histoire car à notre époque, il y a reconnaissance mutuelle des baptêmes et des mariages.

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  2. Super article ! On sent l emotion que tu as ressenti a travers ce dernier. Et c est pour vivre des emotions comme celle-ci qu on fait de la genealogie.

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    1. C'est tout à fait vrai !
      Je n'en revenais pas ! Ce qui est génial c'est de découvrir quelques indices qui laissent présager quelque chose d'énorme et de voir qu'au fur et à mesure des découvertes, ce qui n'était un pressentiment devient une réalité prouvée !

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  3. J'ai également des ancêtres protestants, et hasard aussi c'est la branche de mon arrière-grand-mère très pieuse qui est tombée de sa chaise lorsque je lui ai fait part de ma découverte !

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    1. Les clins d'oeil de l'histoire ;-) Et qui rendent (en principe ...) plus tolérant !

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  4. Aucun ancetre protestant de mon cote, mais un article très interessant à lire pour moi.

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    1. Merci !
      Il est vrai que la Bretagne est surtout catholique et que les protestants n'ont pas fait souche là-bas !

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  5. Quel bonheur de trouver la confirmation de ce que je pressentais. Je tire le fil des Bourgeois dont je suis une descendante.pouvons nous confronter nos trouvailles ?

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  6. cinqueux, n'est-il pas la traduction nouveau français de ST queux que j'ai trouvé sur une carte du diocèse de Beauvais (NNO de Senlis)

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