On prête cette phrase au bon roi Henri IV qui fut obligé d’abjurer
sa foi protestante pour pouvoir devenir Roi de France et de Navarre. Cela ne l’empêchera
pas d’être assassiné quelques années plus tard par un fanatique catholique car
cette abjuration, toute pratique qu’elle fût, mécontenta en réalité tout le
monde : les protestants qui y voyaient
une trahison, les catholiques qui doutaient de la sincérité de la
conversion …
Or, si l’Edit de Tolérance du 13 avril 1598, dit Edit de
Nantes met officiellement un terme aux guerres ayant opposé les deux partis, l’Edit
de Fontainebleau signé par Louis XIV le 18 octobre 1685 met fin lui à l’existence
légale du protestantisme …
Ainsi, pendant tout le règne de Louis XIV et de Louis XV,
être protestant était très difficile car les pratiquants de cette religion
étaient mis au ban de la société.
Les recherches que j’effectue actuellement sur la paroisse
de Béthisy Saint Pierre m’ont permis de trouver une histoire qui, lorsqu’on l’étudie
de près donne un aperçu de la vie de ces ancêtres protestants, et laisse même un
sentiment de malaise.
Une histoire somme toute banale ...
Tout commence à la fin du printemps de l’année 1709. Louis
Saladin est un tisserand qui erre sur les routes à la recherche d’un emploi. Il
est de la région mais pas originaire de la paroisse de Saint-Pierre, c’est pour
cela qu’il est assez peu connu de Suzanne Frère et de sa mère Marie Boulet.
Les deux femmes vivent ensemble depuis que Jean Frère le mari
de Marie Boulet et le père de Suzanne est décédé. La famille est originaire de
Château-Thierry dans l’Aisne, mais depuis une vingtaine d’années, il ne fait pas
bon être adepte de la Religion Prétendue Réformée. Aussi, lorsque le père
décède, les deux femmes, désormais sans protection, quittent la paroisse de
Château-Thierry et rejoignent celle de Béthisy-Saint-Pierre, sans doute parce
que le curé y est plus tolérant.
Le destin de Suzanne Frère va se nouer lorsqu’elle rencontre
ce beau parleur de Louis Saladin. Il est plutôt bel homme, a de la prestance,
exerce le métier de tisserand, comme le père de Suzanne, et à force de
promesses et de belles paroles, finit par avoir ce qu’il attendait de Suzanne …
En plus, cela tombe plutôt bien pour Suzanne car sa mère et elle vivent à l’écart
de la communauté paroissiale (car nous sommes en terre catholique) et pour une
fois qu’un homme s’intéresse à elle et lui promet le mariage, elle se laisse
séduire.
Ce qui devait arriver arriva et le 13 février 1710, naît une petite
Madeleine.
Un enfant, fût-il huguenot, a droit au baptême car il faut
bien sauver cette pauvre petite âme avant que ce démon de Calvin ne la lui prenne !
D’autant que le curé des lieux est le curé Testelette, connu pour son manque
total de sympathie envers les protestants.
Alors, est-ce par amitié, par sympathie, par obligation ?
Toujours est-il que Denis Esmery et sa femme Catherine Lesueur proposent leur
fils Claude, 13 ans, comme parrain, tandis que François Carrier et Catherine Sance
proposent leur fille Marie, 12 ans, comme marraine. Ainsi, cet enfant, fruit du
pêché, sera-t-il porté sur les fonts baptismaux par d’honorables catholiques,
ce qui permet à Testelette de procéder au baptême.
Une vie terrible qui s'annonce ...
A cette époque, les gens sont superstitieux et interprètent
les moindres événements. Il ya donc fort à parier que, lorsque 22 février 1710,
la petite Madeleine décède, seulement âgée de quelques jours, les gens y voient
comme un signe de Dieu qui refuse la vie à cette fille naturelle à moitié
huguenote.
On peut toutefois mentionner que le curé Testelette a fait
preuve de mansuétude envers la pauvre mère car il accepte qu’elle soit enterrée
dans le cimetière de la paroisse (après tout elle a été baptisée), il accepte
que sa grand-mère soit présente à l’enterrement alors que c’est une hérétique,
et il note que Suzanne Frère a été séduite par Louis Saladin. Il ne fait aucune
mention de la religion de la mère …
Imaginons maintenant la vie de Suzanne.
Fille mère, incapable de garder son enfant en vie,
protestante, … Cela fait beaucoup pour une jeune fille.
Pour finir, le 11 décembre 1713, Marie Boulet sa mère décède
à l’âge de 72 ans. Comme, au moment de passer, elle a refusé d’abjurer sa foi,
le cimetière lui est refusé, et son corps est enterré devant la porte de sa
maison. Après tout, les calvinistes disent bien qu’une fois le corps débarrassé
de son âme, il peut être jeté n’importe où …
Mais quel calvaire pour la jeune Suzanne désormais seule.
Après la douleur et la solitude, le réconfort, mais à quel prix !
Les choses vont toutefois aller mieux quelques années plus
tard car au printemps 1716, un jeune homme semble s’intéresser à elle. Il s’agit
de Nicolas Leclerc, un jeune cordonnier de Compiègne, fils de Nicolas Leclerc
et de Marguerite Croy. Il n’a évidemment pas connaissance du passé douloureux
de Suzanne et elle lui plaît.
Seulement voilà, même s’il existe un grand nombre de
protestants à Compiègne et que la famille Leclerc est assez tolérante, il y a
deux problèmes : l’Edit de Fontainebleau qui interdit tout mariage à
Suzanne et Nicolas, et le curé Testelette.
La seule solution, l’abjuration.
En dépit du respect qu’elle a pour ses défunts parents,
Suzanne n’a pas d’autre choix que de s’exécuter et le dimanche 2 août 1716,
elle accepte d’abandonner la religion de ses ancêtres pour vivre une vie
normale.
« Le dimanche deuxième du mois d'août 1716, Suzanne Frère, âgée de trente trois ans environ a abjuré les erreurs qu'elle avait succès avec le laïc ? par sa naissance dans la Religion Prétendue Réformée dans l'église de St Pierre de Béthisy et a fait la profession de foi de la religion Catholique Apostolique et Romaine en présence de Mr Thomas Tesselette, prêtre curé de ladite paroisse de St Pierre de Béthisy, laquelle a fait sa marque au présent acte ne sachant écrire ni signer, conjointement avec les témoins qui ont signé avec nous, et l'acte envoyé à Soissons pour être gardé au greffe.Loyauté, Lefevre, Colas, Testelette »
Le lendemain, 3 août 1716, elle peut enfin épouser Nicolas
Leclerc et fonder une famille.
Il n’y a ensuite plus de traces du couple dans la paroisse,
gageons qu’ils ont quitté la paroisse de Béthisy-Saint-Pierre pour aller s’établir
ailleurs, dans un endroit où ils seraient les seuls à connaître cette part de
leur histoire.
Comme je l’écrivais en préambule, cette histoire qui se
finit bien, laisse toutefois un goût amer. On a vraiment l’impression quand on
lit l’enchaînement des faits que Suzanne Frère a été victime d’une sorte de
chantage : soit elle restait fidèle à sa foi et elle serait condamnée à
vivre en recluse, soit elle acceptait de rentrer dans le rang, et elle pourrait
alors vivre normalement.
Terrible époque que ce début du XVIIIème siècle où l’astre
versaillais, quoiqu’éteint depuis quelques mois, influençait encore le royaume.
Si cette histoire vous a plu, n’hésitez pas à la partager.
Pour aller plus loin :
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