Hier on fêtait l’anniversaire de l’armistice qui mettait
officiellement fin à la première guerre mondiale qui avait débuté 4 années plus
tôt. Pendant ces 4 années, la France a changé profondément. Négativement car
toute une classe d’âge a disparu dans
les tranchées boueuses du nord du pays, mais positivement car les femmes ont pu
montrer qu’elles pouvaient tout aussi bien travailler que leur frères ou maris,
et positivement encore car le français s’est enfin imposé partout sur le
territoire, à force d’avoir vu se mêler des citoyens venus des 6 coins de l’hexagone !
Cependant, il ne faut pas oublier ces hommes qui se sont
battus, pas nécessairement par idéal, mais par devoir envers la patrie.
Mes enfants ont 8 arrières-arrières-grands-pères qui ont
vécu à cette période, et en replongeant dans mes archives, j’ai pu relever
quelques informations intéressantes, que je tenais à partager, suivant en cela le
thème du mois proposé par Sophie Boudarel.
Qui sont-ils ?
En les « triant » par sosas croissants, nous avons :
- Pierre Joseph Sabot, 50 ans en 1914, marié à Marie Julie Fogeron et déjà père de 8 enfants (dont 6 sont encore vivants à cette date)
- Henri Debuire, 52 ans en 1914, marié à Alice Victorine Ménerat et déjà père de 9 enfants (dont 6 sont encore vivants à cette date)
- Juvénal Georges Jules Jacquesson, 30 ans en 1914, marié à Jeanne Françoise Jousserandot et déjà père de 3 enfants à cette date, tous vivants
- Pierre Ernest Vautier, 22 ans en 1914, encore célibataire, mais fiancé à Marie Eugénie Mathilde Girault
- Pierre Fargeas, 49 ans en 1914, marié à Elisabeth Autier et déjà père de 5 enfants, tous vivants
- « Inconnu » Marsal, dont je ne sais pour le moment pas grand-chose, si ce n’est qu’il est sans doute déjà marié à cette date à Emilie Dulsou et qu’il a au moins un enfant
- Pierre Louis Chaume, 33 ans en 1914, marié à Noëlie Chancel et père de 2 enfants, tous vivants
- François Dalbert Chauvit, 28 ans en 1914, marié à Marie Hélénie Lascaud et père d’un enfant, vivant au début de la guerre
Juvénal Georges Jules Jacquesson qui a pu échapper à la guerre du fait de son âge |
On note déjà une grande disparité puisque le plus jeune des trisaïeux
n’a que 22 en 1914 alors que le plus âgé en a 52 et a déjà une famille
largement constituée.
Par ailleurs, à part Pierre Ernest Vautier, ils sont tous
mariés avec des enfants. Ce point est très important quand on pense à ce que
peut être le déchirement de voir le père partir pour la guerre. Les seules
références pour ces personnes étaient les guerres napoléoniennes et la défaite
de Sedan en 1870. En d’autres termes : un carnage où les moins gradés
étaient de la chair à canon. En un mot, des adieux qui durent être déchirants …
Les survivants
Sur les 8 trisaïeux de la guerre, 7 survivront à la
boucherie, le seul mourant pour la patrie étant François Dalbert Chauvit qui
mourra le 29 octobre 1915 des suites de ses blessures à Moreuil, dans un
hôpital de campagne (voir l’article à ce sujet). Il avait quand même passé plus
d’une année à se battre et apprendra sur le front la mort de son père et celle de
son fils aîné, et, accessoirement, la naissance de sa fille qui, si on calcule
rapidement, aura été conçue avant que la guerre n’éclate …
Mais il y a survivant et survivant.
En effet, si sur les 7 survivants, 6 le sont car ils n’ont
tout simplement pas combattu, Pierre Ernest Vautier a le triste privilège d’avoir
passé 4 années à se battre, à avoir été gazé et à revenir de temps à autres en
arrière, temps qu’il a consacrés à se marier et à faire deux enfants, le
troisième étant né en 1920.
Sur les photos que j’ai de lui, on voit que ces 4 années l’ont
marquées et, je relisais il y a peu un texte qu’il avait rédigé en 1921 à l’occasion
de la distribution des prix du collège dont il était le professeur de lettres
et de grammaire. Il s’agit d’une « fête », et pourtant, ce discours
dactylographié est d’une dureté terrible.
En voici quelques extraits :
« (…) C’est donc avec confiance que je dirai à vos fils ce que tous nous pensions hier dans le fond de nos tranchées ou dans la pénombre de nos sapes (…) ».« (…) Souvenons-nous donc de l’ennemi d’hier. Pensons à la conduite de l’armée allemande en campagne, et surtout aux ordres émanant de ses Etats-Majors. Là nous trouvons de quoi nous édifier pendant de trop longues années sur les résultats de la haine scientifiquement organisée. (…) »« (…) Peut-être, dans quelques années lorsque vous incombera la responsabilité des destinées de la Nation, l’Allemand reviendra-t-il, refait, réorganisé, avec une puissance toute nouvelle, d’autant plus à craindre que sa haine aura été plus secrète et sa défaite plus grande. (…) »
Et il y a plusieurs pages sur ce ton. Première remarque, j’imagine
que pendant ce discours, il ne devait pas y avoir un bruit. Seconde remarque,
je suis surpris par la prescience de mon arrière-grand-père ! En tout cas,
on peut dire que même survivant physiquement, le traumatisme psychologique
durera et ne laissera personne indemne. Troisième remarque, ce discours devait
être très parlant puisque certains enfants présents devaient avoir perdu leur
père pendant la guerre …
La souffrance des familles
Un autre cas est celui des familles qui ont payées un lourd
tribut à la guerre. C’est ainsi le cas de Henri Debuire qui, trop vieux pour
combattre, perdra quand même deux fils à la guerre.
Léon Edgar Debuire, né le 22 mai 1892 à Vez dans l’Oise,
qui étant de la classe 1912 servira la France comme soldat 2ème
Classe dans le 9ème Régiment de Dragons. Il sera tué à l’ennemi le
29 septembre 1915 à Souan dans la Marne. Il avait 23 ans.
Maurice Albert Debuire son frère, né le 17 août 1897 à Vez,
qui sera de la classe 1917. Il aura donc parfaitement connaissance de l’horreur
du front par les récits de son frère et vivra sa mort. Malgré tout, il servira
la France comme soldat de 2ème Classe dans le 248ème
Régiment d’Infanterie et sera tué à l’ennemi à Montdidier dans la Somme le
lendemain de ses 21 ans, le 18 août 1918 …
Ainsi, Henri Debuire ne se sera pas battu, mais étant dans l’Oise
il sera aux premières loges et surtout il perdra deux fils dans cette guerre.
Pour la petite histoire, son épouse, la mère de ses enfants est l’arrière-petite-fille
de Joseph Menrad, soldat allemand fait prisonnier par l’Armée de la République
en 1797 … Ainsi, Léon Edgar et Maurice Albert se sont-ils battus contre leurs
cousins …
Je remercie d’ailleurs le site Mémoire des Hommes qui m’a
non seulement inspiré le titre de ce billet, mais qui a fourni un travail
remarquable sur la mémoire de ces hommes qui ont servi leur pays.
Les morts
Ce billet ne serait pas complet si je ne citais François
Dalbert Chauvit, mort pour la France le 29 octobre 1915 à Moreuil dans la
Somme, mort des suites de ses blessures reçues lors du bombardement de sa
tranchée.
Je ne vais pas revenir sur les détails que les lecteurs le
souhaitant pourront trouver dans l’article que je lui avais consacré, mais je
résumerais le drame de cette guerre en quelques lignes.
François Dalbert est né le 8 février 1886 à
Saint-Amand-Montmoreau en Charente. Il est donc de la classe 1906. Il est donc
incorporé au début de la guerre et parcourra tout le nord de la France avec son
Régiment avant de tomber à Moreuil, dans la Somme.
Il décède donc à 29 ans, laissant derrière lui une petite
fille de 9 mois et une veuve de 23 ans. Son fils aîné mourra brûlé dans un
accident domestique et son père apprendra sa mort alors qu’il était lui-même en
train de mourir sur son lit d’hôpital.
Ce destin tragique résume à lui seul les drames qu’ont
connus nos ancêtres pendant cette guerre terrible et je suis heureux qu’il
existe encore des voix pour leur rendre hommage. Je finirai ce billet en citant
une fois de plus mon arrière-grand-père dans son discours de 1921 :
« Pénétrez-vous donc, mes chers Amis, de ces pénibles souvenirs. Que pour vous ce passé soit toujours un présent. Et lorsque vous aurez concentré toute votre attention sur ce thème funèbre, vous comprendrez que tout n’est pas fini. La première partie du drame seule est terminée. La seconde sera ce que vous la ferez : ou bien vous vous monterez dignes de vos aînés, et votre gloire continuera la leur ; ou bien vous oublierez et tout sera à recommencer. »
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Pour aller plus loin :
Visionnaire et très lucide votre AGP. Ça fait presque froid dans le dos. Mais si au moins un de ses auditeurs a compris et appliqué son message, il aura contribué au bien de l'humanité
RépondreSupprimerC'est vraiment bien de parler de cette guerre mais surtout des conséquences sur nos familles. On ne pourrait s'imaginer leur souffrance sans en parler.
RépondreSupprimerBelle description de tes arrière grands-pères. Toujours aussi bien raconté. Bon we :-)