Du fait du rang du marié, tous les notables du bourg sont là
et parmi eux l’honorable homme Marc Geoffroy et la non moins honorable Michelle
Leroy. Ces proches des mariés vont sous peu être liés à un drame dont
évidemment personne n’a encore connaissance en ce jour de fête.
Les années passent et le dimanche 6 avril 1608, jour de
Pâques, Marguerite Baudequin met au monde une petite fille qui est alors nommée
Michelle par son parrain et sa marraine, l’honorable homme Marc Geoffroy et
Michelle Leroy, le lendemain lundi 7 avril, le jour de son baptême.
La petite fille se porte à merveille et tout porte à croire
qu’elle passera le cap difficile des premiers jours, des premières semaines et
des premiers mois de vie. Certes, les Choron sont une famille aisée et l’enfant
ne manque de rien, mais tout le monde sait en ce temps que même le Roi Henri le
quatrième et les Princes du royaume peuvent perdre des enfants à cause de la
contagion comme on dit ou d’une simple infection.
La petite fille grandit et peut-être est-ce la
fréquentation de ses cousins ou tout simplement la proximité des bois et de la
vallée de l’Automne, toujours est-il qu’elle adore courir dans la nature au
point que parfois sa mère s’inquiète de ne la voir rentrer que la nuit
tombante.
Arrive le temps où la petite fille devient femme et cette
jeune fille commence à plaire autour d’elle. Ce ne sont que compliments sur ses
longs cheveux noirs et ton teint légèrement hâlé, même si à cette époque le
teint pâle sied davantage aux femmes. Mais la petite Michelle a du caractère et
se moque des canons de la beauté de Paris. De plus, elle ne supporte pas l’idée
de rester enfermée dans sa chambre à coudre ou à prier comme une personne de
son sexe est censée le faire.
Non, elle est plus à l’aise dehors à jouer avec ses amies et
amis, même si à 15 ans, il n’est plus très convenable qu’une jeune fille, a
fortiori la fille du procureur de la châtellenie, joue avec des garçons de son
âge.
Pourtant en cette fin d’année 1623, alors que le froid commence
à geler l’Automne et les eaux des nombreux moulins à chanvre et à blé de la
région, notre Michelle a décidé de sortir se promener près du moulin de
Béthisy. Elle veut cueillir du gui pour en préparer une gerbe car Noël est dans
quatre jours et des fois que le jeune Pierre Carrier viendrait à passer, elle
pourrait lui voler un baiser sous cette boule. Comme il est beau mais un peu
empoté, Michelle a décidé de forcer un peu sa chance …
Alors qu’elle a ramassé suffisamment de gui pour elle et son
amie Jehanne, elle s’approche du moulin dont la grande roue tourne lentement
dans le froid. Elle entend la glace de l’eau gelée du bief craquer et se
rapproche dangereusement de l’engin. Mais elle en a vu d’autre et se souvient
que plus petite elle s’amusait à agripper la roue pour monter et redescendre
ensuite quelques mètres plus bas.
Seulement cette fois-ci, c’est différent. Le châle qu’elle
porte que les épaules pour la protéger du froid flotte au vent et alors qu’elle
est presque au contact du moyeu central, il est pris dans une pièce de fer qui
entoure l’arbre, l’attirant instantanément dans le cœur de la machinerie. Avant
que sa tête ne heurte violemment une des aubes, elle a le temps d’appeler à l’aide.
Le meunier sort en courant du moulin, mais il est trop tard, le corps de
Michelle est enroulé autour de l’arbre et la pauvre jeune fille est morte,
étranglée par son châle et le cou brisé par le mouvement de la roue.
Encore quelques tours et le meunier a le temps d’arrêter la
course infernale de la roue tandis son aide est parti au bourg prévenir le
chirurgien et les parents de la jeune fille.
Lorsque le chirurgien arrive il ne peut que constater que
Michelle est morte. Plus tard, lorsqu’il décrira à messire Delamare le curé de
la paroisse les circonstances de la mort de jeune fille, il expliquera que
selon lui, elle a été prise par les chevilles de fer qui sont dans l’arbre près
du tourillon. Que ce faisant, son corps a fait trois tours complets en étant
entortillé autour de l’arbre. La conséquence est que sa face, son col et sa
tête ont été complètement rompus et brisés et qu’il a fallu découper ses
cheveux et ses habits pour pouvoir l’en sortir …
Ce qu’il n’a pas dit c’est que dans sa main elle tenait
encore quelques brins de gui …
Le lendemain, elle fut mise en sépulture en l’église
paroissiale près de la chapelle de Saint-Michel. A côté de son corps, sa
marraine Michelle Leroy a tenu à déposer les quelques brins de gui qui avaient
été retrouvés dans sa main car peu de temps avant, elle avait reçu de sa
filleule la confidence du tendre amour qu’elle portait pour le jeune homme qu’elle
aurait normalement dû épouser dans quelques années.
Aux obsèques, les parents de la jeune fille étaient là, anéantis
par la douleur. Jamais ils n’auraient imaginé que leur fille tant aimée allait
être enterrée là où ils s’étaient mariés il n’y avait même pas 20 ans …
Epilogue
Michelle Choron est décédée dans ces circonstances terribles
le 20 décembre 1623 alors qu’elle n’était âgée que de 15 ans et neuf mois comme
le précise son acte de sépulture.
Elle est probablement de ma famille car non seulement je
compte de nombreux Choron et Baudequin parmi mes ancêtres, mais la situation
sociale de ses parents est compatible avec le niveau de notabilité de mes
ancêtres dans cette paroisse à cette époque.
J’ai imaginé l’histoire du gui pour trouver une raison qui
aurait amenée cette jeune fille près du moulin où elle a eu cet accident. Je n’ai
évidemment aucune preuve de tout cela, mais ce détail est plausible.
Le père de Michelle Choron, maître Antoine Choron, décèdera
le 24 septembre 1650 à l’âge de 70 ans. Il sera également inhumé dans l’église
de Béthisy-Saint-Pierre à proximité de la chapelle dédiée à Saint-Michel, à
côté de sa fille …
Si cette histoire vous a plus, n’hésitez pas à la partager.
Un très beau récit.
RépondreSupprimerMerci
SupprimerCette histoire est hélas vraie même si je l'ai un peu romancée ...
Très bien écrit comme toujours. Même si les faits sont violents, il est bien d'avoir des prêtres qui relatent les faits divers avec une précision extrême.
RépondreSupprimerEn fait je crois que c'est lié au fait que le prêtre devait justifier la raison pour laquelle il n'avait pas pu donner les sacrements.
SupprimerCela dit ce prêtre est spécialement loquace !