dimanche 30 décembre 2012

La vie continue ...


Toujours à la recherche de mes ancêtres Victoire Comedé et Pierre Joseph Leclerc dans la ville de Beauvais, je continue à y faire des découvertes étonnantes.

Comme je le disais dans un article précédent, la caractéristique de Beauvais est d'être à la fois une ville de taille importante mais également d'être à une position géographique particulière. Elle se situe en effet à mi-chemin entre Paris et Amiens et se trouve à équidistance de Rouen et d'Amiens.

Eglise Saint-Etienne de Beauvais

Lors de mes recherches, j'ai donc découvert quelque chose que je vais révéler ici sous la forme d'une devinette : quel est le point commun entre Jacques Scover, Jean Laurent Eylingh et Jean Guillaume Mathieu Feltman ?

Mis à part le fait que ce sont tous des garçons, ils ont un patronyme pas vraiment français.

Mais encore ?

Petit indice, ils sont nés entre 1747 et 1748 ...

Toujours pas ?

Alors, lisez les actes de naissance :

Le quinzième jour du mois de mai de l'année mil sept cent quarante sept est venu au monde et a été baptisé Jacques, fils de Jean Willems Scover et de Catherine Scover sa femme, originaires de Paix de Brabant, ville de Rouermarch détenus prisonniers de guerre à Beauvais en Picardie, dans cette paroisse, ainsi nommé par André Iapen et par Anne Marie Van Hoghmoet ses parrain et marraine. La marraine a signé et le parrain a fait sa marque ordinaire ayant déclaré ne savoir écrire ni signer de ce interpellé suivant l'ordonnance.
Le dixième jour du mois d'août de l'année mil sept cent quarante sept est venu au monde et a été baptisé Jean Laurent fils de Henry Eyhingh et de Henrite Houves sa femme, originaires de la ville d'Utrecht, étant été prisonnier de guerre, ainsi nommé par le Sieur Jean Engelbert Van Savelandt et Dame Marie Thèrèse De Pampis, épouse du Sieur Jean Vernes de Pampis, officier des troupes Hollandaises prisonnier de guerre en cette ville ses parrain et marraine soussignés.
Le huitième jour du mois de février de l'année mil sept cent quarante huit est venu au monde et a été baptisé Jean Guillaume Mathieu, fils de Guillaume Feltman et de Catherine Abetz sa femme, nommé par Jean de Meyer et Laurentie Van Bebber ses parrain et marraine soussignés, le père et la mère de l'enfant étant natifs d'Utrecht en Hollande et détenus prisonniers de guerre à Beauvais en Picardie dans cette paroisse, tous deux de religion catholique apostolique et romaine, si bien que le parrain et la marraine.


1) Un peu d'histoire de France

En 1747, Louis XV est déjà roi depuis 32 ans (24 ans si on considère qu'il a été pleinement roi en 1723 à 13 ans).
Louis XV

En 1740 a débuté la Guerre de Succession d'Autriche.

Pour résumer, il faut savoir que l'Empereur Charles VI est décédé en 1740. Le problème est qu'outre la direction de l'Empire, il avait également le titre d'Archiduc d'Autriche. A son décès, c'est donc sa fille Marie Thérèse qui devient Archiduchesse d'Autriche.
La couronne impériale ne pouvant lui revenir, elle souhaite donc que ce soit son époux François, Grand Duc de Toscane qui soit élu Empereur (on se souviendra que c'est également un problème d'élection à ce titre qui avait causé les guerres entre François Ier et Charles Quint ...).

On a en face :
  • Louis XV qui souhaite voir Charles Prince Electeur de Bavière à la tête de l'Empire
  • Frédéric II, roi de Prusse qui lorgne sur la Silésie, partie de l'Empire proche de la Prusse
  • François, Grand Duc de Toscane et époux de l'Archiduchesse d'Autriche
Après quelques péripéties, Louis XV accepte de se ranger aux côtés de Frédéric II pour faire la guerre aux Autrichiens à la condition que celui-ci soutienne le candidat des Français. C'est chose faite en 1742 et le Prince Electeur de Bavière est élu Empereur sous le nom de Charles VII.

Je passe les détails et les rebondissements de cette affaire car après une paix séparée entre Frédéric II et Marie Thérèse, celui-ci abandonne ses alliés et les Français se retrouvent seuls contre les Autrichiens qui entre temps ont reçu le soutien des Anglais (c'est d'ailleurs curieux de constater que finalement les guerres de l'Empire ne sont que la continuation de ces guerres intra-européennes ...)

En 1743 les choses sont plus claires et on a deux camps issus des traités de Worms et de Francfort :
  • d'un côté l'Autriche, l'Angleterre et le Piémont
  • de l'autre côté la France, la Prusse, la Suède et la Bavière
En 1744, les Pays-Bas autrichiens sont envahis par la France

En mai 1745, la fameuse bataille de Fontenoy oppose les Français à la coalition Anglo-autrichienne. C'est à cette bataille semble-t-il que le Comte d'Anterroches a déclaré "Messieurs les Anglais, tirez les premiers !".

La Bataille de Fontenoy

Tout va plutôt bien pour la France au détail près qu'en janvier 1745 l'Empereur Charles VII est mort et son fils n'étant pas candidat, c'est tout naturellement François, le Grand Duc de Toscane qui est élu sous le nom de François Ier. Tout ça pour ça ...

Mais la guerre (les guerres devrais-je dire car on se bat au Canada, en Espagne, en Italie, en Ecosse, ...) continue et en 1747 la France contrôle les Pays-Bas après s'être emparé d'Ostende (été 1745), Bruxelles (février 1746), Anvers (juin 1746), Namur (septembre 1746). Face à ces défaites, les Provinces-unies essaient de gagner du temps en négociant. Mais Louis XV, porté par ses victoires les menacent de les envahir en avril 1747 ...  En juillet 1747, à la bataille de Maastricht, Maurice de Saxe défait la coalition Anglo-austro-néerlandaise.

Il faudra attendre octobre 1748 pour que les pourparlers aboutissent au traité d'Aix-la-Chapelle mettant fin à cette guerre de 7 ans !

2) Revenons-en à nos prisonniers

On comprend mieux d'où proviennent ces prisonniers ...

Mais la lecture détaillée de ces actes révèlent d'autres informations intéressantes pour l'historien et le généalogiste.

Tout d'abord, si les parents des enfants nés sont dits "prisonniers de guerre", rien n'indique qu'ils logeaient en prison. Sans parler de vie en semi-liberté, il semble que les prisonniers aient une vie presque normale. Leur femme est avec eux, ce qui est également étonnant. On peut penser qu'elles ont rejoint leur mari dans leur résidence ... En tout cas, elles accouchent à Beauvais.

Ensuite, les parrain et marraine sont choisis chez soi !  On reste entre hollandais. Probablement qu'on pensait au futur et qu'on se disait qu'une fois la guerre finie, on rentrerait chez soi. Que faire alors d'un parrain ou d'une marraine français ? Et puis il y a les problèmes de langues. On se doute que les prisonniers comprennent le français mais le curé a du mal à transcrire correctement les noms tant leur prononciation diffère de ce qu'ils ont l'habitude d'entendre.

Enfin, dans un cas, le prêtre prend la peine de préciser que les parents et les parrain et marraine sont catholiques ! Il faut en effet se souvenir que les Provinces-Unies, si elles sont subies l'influence espagnoles grâce à Charles Quint, ont toujours été un lieu de tolérance pour les protestants. De nombreuses familles s'y sont d'ailleurs réfugiées après la révocation de l'Edit de Nantes par Louis XIV.
Pour le commun des mortels, la Hollande est donc une terre protestante, d'où la précision apportée par le curé en 1748 (ce point n'a cependant pas été mentionné par celui qui a fait les baptêmes en 1747 ...).


3) Conclusion

Même en cas de guerre, la vie continue.

Les prisonniers ont des enfants avec leur femme, venue de leur pays les rejoindre. Ces enfants sont baptisés par des curés "ennemis" mais qu'importe. La vie continue ...

Certains cas montrent également que des relations se nouent entre les personnes issues de deux peuples ennemis (j'en sais quelque chose, descendant d'un soldat allemand, fait prisonnier en 1792 et ayant épousé une française du village où il était retenu ...).

Et vous, avez-vous remarqué ces échanges et mélanges durant les périodes de guerre ?

Pour aller plus loin :


           

2 commentaires:

  1. Encore un article passionnant. Dès qu'on fait de la généalogie, on se retrouve à mieux appréhender l'histoire de l'Europe, c'est ca que je trouve passionnant.

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  2. Très bon article ! Il est interessant aussi de consulter les sources hollandaises pour comparer. Par exemple on trouve un mariage à Woensdrecht (Brabant) en 1861 entre Jules Honoré Louette né à Beauvais,fils de Pierre Adrien Louette et de Jacoba Petronille De Koning et Anna Catharina Cleeren,fille de Adriaan Cleeren et Maria Theresia Veraeve. (wiewaswie.nl) Cela reste à confirmer mais on peut emettre l'hypothèse,au vu des patronymes, que le marié est issu d'un mariage franco-hollandais :)

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